Rupture brutale et modification des modalités de livraison

DIA condamnée à livrer l’un de ses affiliés dans le respect des termes du contrat d’approvisionnement.

Un exemple de rupture brutale : Cour d’Appel de Paris, 19 septembre 2013

Le tribunal de commerce de Paris sanctionne la modification des modalités de livraison et l’assimile à une rupture brutale.

Dans un jugement rendu à propos du réseau DIA, le tribunal de commerce de Paris estime que la modification unilatérale des modalités de livraison peut constituer une rupture brutale et  unilatérale du contrat. Le Tribunal de commerce va d’ailleurs jusqu’à qualifier cette modification de  trouble manifestement illicite.

Il ressort donc de ce jugement que les modalités de livraison peuvent constituer un élément essentiel du contrat. Ainsi leur modification ne peut résulter que d’un accord des parties. Il s’agit là d’une simple application du principe essentiel de la force obligatoire des contrats, selon lequel « les conventions tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites »

 

La validation des prévisionnels par le franchiseur engage sa responsabilité !

Note sous CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 7 janvier 2015

La validation des prévisionnels par le franchiseur engage sa responsabilité  : Enfin un peu de justice !

Rappel sur la jurisprudence

De longue date, la jurisprudence considère qu’un franchiseur n’a pas à remettre de chiffres d’affaires prévisionnels aux candidats à l’intégration de son réseau. C’est à ce dernier de faire ses calculs, d’envisager ses perspectives de rentabilité. La solution ne se justifie ni sur un plan juridique, ni sur un plan économique. Juridiquement, les textes imposent au franchiseur de faire connaître au candidat les perspectives de rentabilité ainsi que l’état du marché local (C. com., art. L. 330-3 et R. 330-3). Au reste, le franchiseur est tenu de transmettre un savoir-faire.

Or la réalisation de prévisionnels participe nécessairement dudit savoir-faire. Comment diable le franchiseur peut-il prétendre en détenir un s’il n’est pas capable d’en anticiper l’application sur un secteur donné ? Économiquement, les informations nécessaires à la réalisation de prévisionnels sérieux sont beaucoup plus facilement accessibles au franchiseur. Et ce dernier a tout intérêt à jouer la transparence. Certes, il ne peut s’agir de mettre à sa charge une obligation de résultat. Mais personne ne l’a jamais demandé ! Seuls les prévisionnels irréalistes, grossièrement optimistes méritent d’être sanctionnés. Quoiqu’il en soit, les tribunaux le répètent à longueur de décision, de manière presque hypnotique : le franchiseur n’a pas à réaliser les prévisionnels.

L’arrêt de la Cour d’Appel de Paris

Voilà pourtant que la Cour d’appel de Paris, sans directement revenir sur ce leitmotiv, en atténue singulièrement et la portée, et l’incongruité. Dans une affaire passablement complexe, elle décide d’engager la responsabilité d’un franchiseur au motif que les chiffres prévisionnels qu’il avait validés s’étaient avérés mensongers. La plupart des éléments avaient, comme de juste, étaient fournis au candidat franchisé pour qu’il réalise ses prévisionnels.

Sans doute ceux-ci avaient-ils donc été élaborés par le franchisé. En considération de trois données : le chiffre d’affaires que le concept devait produire à l’endroit choisi, les marges dont bénéficie le franchisé et le montant des travaux d’aménagement pour que le magasin réponde au concept du franchiseur. Mais en les recevant sans formuler la moindre observation, le franchiseur les avait validés, affirment les magistrats parisiens. Or l’étude du contexte économique d’implantation n’avait pas été faite sérieusement par le franchiseur qui, précise la Cour, avait surévalué la force de son concept. De fait, l’écart entre les prévisions et les chiffres réalisés était substantiel : plus de 30 %. Condamnation du franchiseur donc.

La décision est salutaire. Elle est au surplus réaliste et largement transposable. Dans de très nombreux cas, le franchiseur laisse le candidat réaliser formellement des prévisionnels qu’il se borne à recevoir sans broncher. S’il n’en est pas l’auteur, sa ratification change ainsi nécessairement la donne. Car un silence vaut ici nécessairement acceptation. Imagine-t-on qu’un franchiseur laisse un des membres de son réseau se lancer s’il estime que les prévisionnels qui lui sont communiqués sont infaisables ? La solution retenue par les magistrats de la Cour d’appel de Paris a ainsi le mérite de pallier l’injustice de la règle traditionnelle. Les prévisionnels n’ont pas à être faits par le franchiseur ? Soit ! Mais qu’au moins celui-ci n’en valide pas d’excessifs !

Tôt ou tard, la raison finit toujours par l’emporter. Cette sage décision permet du moins de l’espérer !

Attention aux clauses de médiation préalable !

Attention aux clauses de médiation préalable : à propos de Cass. ch. mixte, 12 décembre 2014, Pourvoi n° 13-19.684.

La justice négociée a le vent en poupe.

La justice négociée (clauses de médiation, de conciliation etc.) est censée assurer une justice apaisée et contribuer à désengorger les tribunaux. Les contrats de distribution stipulent ainsi de plus en plus souvent une clause instituant une procédure, obligatoire et préalable à la saisine du juge, favorisant une solution amiable du litige. Clause de médiation, clause de conciliation, clause de recours à un expert : quelles que soient les modalités, il s’agit toujours d’imposer aux parties de négocier avant de ferrailler. Les bons sentiments ne font toutefois pas toujours les bonnes clauses…

De fait, s’il est évident que l’une des parties n’entend pas négocier, à quoi bon le lui imposer ? Les parties se rapprocheront de manière purement formelle. Il n’y aura qu’un simulacre de négociation. La Cour de cassation n’en impose pas moins le respect scrupuleux de ce genre de clauses. De manière parfois aussi excessive qu’irréaliste. Rendu le 12 décembre dernier, cet arrêt en témoigne.

En l’espèce, une partie avait violé la clause de conciliation. Elle avait saisi le juge judiciaire d’une action en responsabilité sans avoir préalablement mis en œuvre la clause stipulée au contrat. Sans doute l’avait-elle mise en œuvre. Mais après l’introduction de l’instance. Trop tard donc ! La Cour d’appel de Montpellier avait ainsi déclaré son action irrecevable. Et la Cour de cassation confirme cet arrêt, décidant de manière très générale que la fin de non-recevoir tirée de la méconnaissance de ce type de clauses n’est pas susceptible d’être régularisée par leur application en cours d’instance.

Critique de l’arrêt rendu par la Cour de Cassation

La solution est très contestable. Certes, la clause était obligatoire. Ne portant qu’une atteinte temporaire au droit fondamental d’ester en justice, celle-ci est en effet parfaitement licite (Cass. ch. mixte, 14 fév. 2003, n° 00-19.423 et n° 00-19.424 : Bull. ch. mixte, n° 1). Il n’est pas moins acquis depuis 2003 que la sanction de la violation d’une telle clause réside dans une fin de non-recevoir (Cass. ch. mixte, 14 fév. 2003, préc.).

Or l’article 126, al. 1er, du Code de procédure civile prévoit bien la possibilité d’une régularisation dans les termes suivants : « dans le cas où la situation donnant lieu à fin de non-recevoir est susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment où le juge statue ». Et quel est l’esprit d’une clause de médiation ? Il s’agit simplement de prévoir une tentative de règlement amiable avant qu’un juge statue sur leur litige. Peu importe que cette clause soit mise en œuvre avant ou après l’introduction de l’instance. Il reste en effet possible de revenir à une situation conforme à la règle tant que le juge n’a pas statué.

D’aucuns objecteront que le climat délétère qu’implique l’introduction d’une instance compromet les chances d’une solution amiable. Les parties savent toutefois fort bien qu’à défaut de s’entendre, le juge aura toujours le dernier mot, quelle que soit la date de sa saisine. Au demeurant, il n’est pas certain que l’introduction d’une instance compromette une négociation. Elle peut tout au contraire la favoriser. En pratique, les parties peuvent être d’autant plus enclines à transiger que la menace d’une décision judiciaire se profile de manière imminente.

Le contexte

Dans ces conditions, on comprend bien mieux la solution qu’avait adoptée la deuxième chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation dans deux arrêts rendus respectivement les 16 décembre 2010 et 3 mai 2011. Où la Haute juridiction décidait que le défaut de mise en œuvre d’une clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui peut être régularisée en cours d’instance (Cass. civ. 2, 16 déc. 2010, n° 09-71.775 : Bull. civ. II, n° 212 ; JCP 2011, n° 22, p. 666, n° 12, obs. T. Clay ; RTD Civ. 2011, p. 170, note R. Perrot ; Dr. des contrats, L’essentiel, 1er fév. 2011, n° 2, p. 6, obs. G. Guerlin ; RDC 2011, p. 916, obs. C. Pelletier.- Cass. com., 3 mai 2011, n° 10-12.187 : RDC 2012, p. 884, obs. C. Pelletier).

De ce point de vue, l’arrêt du 12 décembre est un changement de cap jurisprudentiel que rien ne justifie. Quelles sont en effet les conséquences de la solution qui en résulte ? La partie dont l’action est déclarée irrecevable souhaitera naturellement introduire une nouvelle action. Devra-t-elle pour autant, au nom de la clause, tenter une nouvelle négociation ? La tentative serait aussi vaine que dilatoire. C’est d’ailleurs le paradoxe auquel aboutit l’arrêt commenté : à vouloir assurer l’efficacité des clauses de médiation censées court-circuiter le recours au juge, la solution tend à encombrer ce dernier.

Cet arrêt s’inscrit dans une tendance plus générale consistant à favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges. Sur ce point vous pouvez consulter nos articles sur :

 

Clause de non-concurrence annulée

La clause de non-concurrence doit être proportionnée aux intérêts légitimes du franchiseur.

Dans l’arrêt de la Cour d’Appel de Versailles du 24 juin 2014, les juges rappellent les conditions de validité des clauses de non-concurrence.

Les faits soumis à la Cour d’Appel de Versailles

Dans l’affaire soumise à la Cour, un ancien franchisé UCAR avait poursuivi son activité après l’expiration du contrat. Or le contrat prévoyait que le franchisé ne pourrait pas exercer d’activité concurrente pendant une durée d’un an après l’expiration du contrat. Cette clause s’appliquait non seulement au local exploité par le franchisé, mais aussi sur tout le département et les département limitrophes.

La décision de la Cour d’Appel de Versailles

La Cour d’Appel de Versailles a estimé qu’une telle clause de non-concurrence était excessive au regard de la zone géographique concernée.

« Elle couvre une zone géographique particulièrement étendue (…). Que cette restriction à la liberté de commerce (…) n’est pas proportionnée aux intérêts légitimes de la société UCAR. (…) Qu’il résulte de l’ensemble de ces éléments que la clause de non-concurrence est nulle et de nul effet ». 

Il est en outre intéressant de souligner que la clause de non-concurrence n’est pas ramenée à de plus justes proportions. Elle est simplement annulée. Il s’agit à présent d’une jurisprudence bien établie. En effet, la clause de non-concurrence excessive est systématiquement annulée et ne produit aucun effet. (sur ce point, voir notre article ci-contre). Le rédacteur du contrat doit donc être particulièrement vigilant. Si la clause a une portée trop large, elle sera annulée. De même, s’il n’est pas démontrée qu’elle est proportionnelle à la protection des intérêts du franchiseur.

Les conditions de validité des clauses restreignant la liberté d’entreprendre du franchisé après l’expiration du contrat sont définies depuis la loi Macron à l’article L 341-2 du Code de Commerce (sur les impacts de la loi Macron sur les réseaux de franchise, voir notre article ci-contre).

L’évaluation du préjudice lié à la rupture brutale d’une relation commerciale établie

L’évaluation du préjudice lié à la rupture brutale d’une relation commerciale établie.

A propos de Cass. Com., 24 juin 2014, n° 12-27908

Rappel sur le contentieux lié à la rupture brutale d’une relation commerciale

Le caractère brutal de la rupture

La rupture d’un contrat de distribution est la source d’un abondant contentieux.

La partie qui en est victime peut notamment en contester le caractère brutal. L’article L.442-6, I, 5°, du Code de commerce dispose en effet qu’ « engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels », des « arrêtés ministériels », ou à défaut, par le juge.

A supposer que la brutalité de la rupture soit démontrée, encore faut-il néanmoins évaluer le montant de la réparation à laquelle le partenaire évincé peut légitimement prétendre. L’auteur de la rupture engage sa responsabilité : soit ! Mais dans quelle mesure ? Telle est la question. Et c’est tout l’intérêt de l’arrêt rendu le 24 juin 2014 par la chambre commerciale de la Cour de cassation que de préciser la réponse.

L’épineuse question de l’indemnisation du préjudice

De fait, il régnait jusqu’alors un certain flottement jurisprudentiel. Et pour cause : les textes s’avèrent pour le moins évasifs. Tout au plus l’article 1149 du Code civil dispose-t-il que « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé ».

Les pertes liées à la brutalité d’une rupture ne sont déjà pas faciles à déterminer. Certains postes de préjudice ne sont toutefois pas contestables. Ainsi par exemple de l’impossibilité de redéployer certains investissements spécifiques réalisés par la victime de la brusque rupture. Ou encore, le cas échéant, de la perte d’image liée à une atteinte à la réputation.

 Mais les gains manqués ? Comment les apprécier ? Un débat agite la doctrine et les juges du fond. Sans doute est-il admis que le manque à gagner se calcule sur la période du préavis raisonnable dont la victime a été frustrée. De même est-il évident qu’il ne peut guère correspondre à du chiffre d’affaires : il faut nécessairement tenir compte des charges pesant sur l’entreprise (Cass. Com., 3 déc. 2002 : n° 00-16.818). Dit autrement, ce type de préjudice s’analyse en une perte de marge (V. par ex. Cass. Com., 9 mai 2007, n° 06-11.029). Mais au-delà de ces certitudes, les hésitations allaient bon train.

Car la notion de marge est nébuleuse. Au moins deux acceptions peuvent en être retenues : la marge brute, ou marge commerciale, désigne la différence entre le prix de vente du produit et son coût d’achat ; la marge nette, elle, renvoie au prix de la prestation diminué du coût de revient du produit ou du service commercialisé. Celle-ci intègre donc le coût de fonctionnement de l’entreprise, lequel comprend des coûts fixes et des coûts variables.

Les apport de l’arrêt du 24 juin 2014

La décision rendue le 24 juin dernier par la Cour de cassation semble nettement trancher le débat. Elle casse en effet un arrêt d’appel aux motifs que « seul doit être indemnisé le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture, évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qui n’a pas été exécutée ».

Il est vrai que la méthode de calcul n’est ici qu’évoquée dans une incise. Et que cette décision n’est pas publiée au Bulletin annuel des arrêts de la Cour de cassation. Il n’empêche : cet attendu est formulé dans des termes suffisamment généraux et abstraits pour cristalliser une règle à laquelle la haute juridiction entend se tenir.

Concrètement, la partie qui subit la rupture brutale d’une relation commerciale établie sera bien avisée de solliciter son expert-comptable. De dernier pourra notamment établir cette marge brute et d’emporter la conviction du juge. De nombreuses juridictions du fond s’appuient en effet sur ce type de preuve, dont l’avantage réside dans la simplicité et le sérieux (V. par ex. CA Paris, Pôle 5, ch. 10, 15 sept. 2010 : Jurisdata n° 2010-027116).

Les COOP d’Alsace passent chez Carrefour !

La COOP d’Alsace, l’une des plus anciennes coopératives de France, premier distributeur indépendant de la région Alsace, a vu ses magasins la quitter les uns après les autres….

Les coopératives n’ont plus le vent en poupe et la concurrence de la grande distribution ne s’est pas soldée à leur avantage.

Plus de 110 ans après sa création, cette coopérative, emblème d’une distribution paternaliste, a vendu la quasi-totalité de ses actifs.

Connaissant depuis plusieurs années des problèmes récurrents de rentabilité, cette très vieille institution a commencé par céder ses hypermarchés au groupe Leclerc en 2009. Ce transfert n’a pas suffi à résoudre les problèmes de la coopérative qui s’est ensuite rapproché de Casino avec lequel elle a collaboré pendant plus d’une année.

Mais la mayonnaise n’a pas pris et la société Casino a jeté l’éponge.

Cela a permis au groupe Carrefour de prendre sa place et d’acquérir les COOP d’Alsace.

Mais le transfert est compliqué. Il implique de modifier le statut des exploitants et de leur vendre les exploitations.

Les magasins COOP sont tenus par des mandataires qui bénéficient de certaines dispositions protectrices du droit du travail. Carrefour ne souhaite pas maintenir ce statut et propose un changement radical. Les gérants se voient proposer de devenir des indépendants.

Les étapes du changement

Pour ce faire un scénario en plusieurs étapes semble envisagé :

La régularisation de nouveaux contrats :

  • Dans un premier temps un contrat de location gérance est signé entre Carrefour, propriétaire du fonds de commerce, et l’exploitant. Celui ci devient indépendant et aura donc une rémunération calculée en fonction des bénéfices de l’exploitation … A condition que celle ci le permette ! Or il est difficile à ce stade pour les exploitants d’avoir une vision précise de la rentabilité de chaque point de vente.
  • Carrefour n’ayant pas vocation à conserver dans son giron des petites surfaces. Elle entend donc les vendre aux exploitants qui devront emprunter pour ce faire. Ceux ci devront ensuite signer un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement. Ils resteront donc liés à Carrefour par ces deux conventions et devront acheter la majeure partie de leurs produits auprès de Carrefour.

Le passage du salariat au statut de commerçant indépendant

  • Les mandataires d’aujourd’hui vont donc devoir créer une société commerciale qui sera locataire gérante dans un premier temps, puis propriétaire du fonds à moyen terme… La société d’exploitation, créée par le responsable de magasin, devra rembourser les emprunts et assumer tous les risques liés à l’exploitation du fonds. Mais ce montage risque de se heurter à divers obstacles découlant d’une part du droit du travail et d’autre part de la difficulté d’obtenir des prêts pour une telle opération.
  • Le droit du travail d’abord car les gérants actuels ont la qualité de salarié et on imagine mal les raisons qui pourraient les convaincre d’abandonner un statut protecteur pour celui de commerçant indépendant. Il n’est pas exclu que les syndicats ou l’inspection du travail plongent leur nez dans ce montage et y trouvent à redire.
  • Les gérants eux mêmes risquent de faire grise mine devant les conditions de vie des commerçants. Certains d’entre eux sont dans l’entreprise depuis deux ou trois décennies et leurs cheveux commencent à blanchir. Devenir commerçant à cette période de sa vie n’est pas offert à tout le monde. Il faut en effet avoir une santé de fer et un moral d’acier pour supporter l’amplitude horaire de la distribution alimentaire et le stress généré par les problèmes de trésorerie.
  • Mais les gérants devront, pour se porter acquéreurs, trouver les quelques picaillons nécessaires à indemniser Carrefour des fonds de commerce. Or il est peu probable qu’ils disposent des liquidités nécessaires. Ils devront alors recourir à l’emprunt bancaire. Mais qui dit emprunt dit garantie. Et le gérant devra très probablement se porter caution personnelle.

Conclusion

Le changement de statut proposé aux directeurs de magasin n’est pas anodin : ils sont à un tournant décisif de leur vie et doivent maintenant devenir de véritables entrepreneurs adeptes d’une gestion au cordeau. Car n’oublions pas que dans la distribution alimentaire la rentabilité se joue souvent à un ou deux pour cent ! Il faut en avoir conscience et affuter ses prix en conséquence. Le danger est là, tapi derrière la moindre bouteille.

Un esprit  à deux mondes vont se rencontrer et le choc risque d’être violent.

 

 

 

Les contrats Carrefour Market retoqués par l’Autorité de la concurrence

Le recours à la procédure d’engagement en matière de franchise.

Sur l’avis de l’Autorité de la concurrence du 16 décembre 2011

De façon inédite, la procédure d’engagement devant l’Autorité de la concurrence a été appliquée dans le cadre d’un litige mettant en cause un contrat de franchise. Prévue à l’article L 464-2 du Code de commerce, la procédure d’engagement instaure une forme de coopération entre les entreprises et l’Autorité de la concurrence. Cette procédure trouve à s’appliquer dans le cas où l’Autorité de la concurrence aurait caractérisé des comportements susceptibles de constituer des « pratiques anticoncurrentielles » au sens des articles L 420 et suivants du même Code. Plus précisément, cette procédure d’engagement permet à l’entreprise soupçonnée de pratiques anticoncurrentielles de proposer des mesures visant mettre un terme aux préoccupations de l’Autorité. C’est précisément ce qu’a fait la société Carrefour dans le cadre d’un litige l’opposant à l’un de ses franchisés.

Un litige né à l’occasion du changement d’enseigne

Le différend entre les parties s’est déclaré lors du passage de l’enseigne Champion à l’enseigne Carrefour Market, dans le contexte de la réorientation stratégique initiée par le groupe Carrefour en 2008. Les saisissantes  estimaient notamment que, profitant du changement d’enseigne, la société Carrefour aurait introduit dans le nouveau contrat de franchise des modifications substantielles au détriment du franchisé. Profitant de l’état de dépendance économique dans lequel se trouvait la société franchisé, Carrefour aurait ainsi violé l’article L.420-2 du code de commerce.

Dans une évaluation préliminaire de concurrence, rendue en juillet 2011, l’Autorité de la concurrence a estimé que les pratiques de Carrefour, notamment la modification substantielle de certaines clauses du contrat de franchise à l’occasion du changement d’enseigne, étaient susceptibles de constituer un abus de dépendance économique.

  • La première étape du raisonnement consiste évidemment à caractériser l’état de dépendance économique, ce qui ne soulevait pas de difficulté dans le cas des franchisés Carrefour. Dans son analyse de l’état du marché, l’Autorité de la concurrence a notamment souligné « la pénurie de locaux commerciaux (…) les liens contractuels et capitalistiques qui lient les sociétés saisissantes au groupe Carrefour, (…) leur taux d’approvisionnement d’environ 90% auprès de ce même groupe et, enfin, là notoriété et  la part de marché que ce dernier est susceptible de détenir sur les marchés concernés ».
  • La seconde étape réside quant à elle dans la caractérisation de l’abus. Sur ce point, l’Autorité souligne que « la volonté de Carrefour de substituer au contrat de franchise Champion le contrat de franchise Carrefour Market est susceptible de constituer un abus de dépendance économique dans la mesure où certaines clauses du contrat-type Carrefour Market sont plus strictes que celles figurant dans le contrat de franchise Champion ». Compte tenu de ces éléments, la modification des clauses contractuelles lors du changement d’enseigne est susceptible de tomber sous le coup de l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles. 

C’est dans ce contexte, et afin de répondre aux préoccupations concurrentielles de l’Autorité, que Carrefour a formulé des propositions d’engagement en application de l’article L.464-2 du Code de commerce. Par sa décision du 16 décembre dernier, l’Autorité de la concurrence a accepté les propositions d’engagement du franchiseur, les rendant par là même obligatoires. Si le recours au droit de la concurrence permet ici de garantir les droits des franchisés (1), cette protection n’est que la conséquence des préoccupations de concurrence de l’Autorité (2).

L’interdiction des abus de dépendance économique : une protection efficace des droits du franchisé

A l’occasion du changement d’enseigne, Carrefour a proposé aux sociétés saisissantes la conclusion d’un nouveau contrat de franchise Carrefour Market, ayant vocation à se substituer au contrat de franchise Champion. Or le contrat Carrefour Market est à bien des égards plus contraignant pour le franchisé. Ainsi le contrat Carrefour Market proposé aux franchisés prévoyait une durée initiale de sept ans, renouvelable par tranche de sept années, alors que le contrat initial était renouvelé tous les trois ans. La liberté des franchisés s’en trouvait considérablement réduite, puisqu’ils ne pouvaient sortir du réseau que tous les sept ans. Rappelons par ailleurs que dans un avis antérieur du 7 décembre 2010, l’Autorité de la Concurrence avait justement recommandé de limiter la durée des contrats d’affiliation à cinq ans, afin de rendre la concurrence plus effective dans le secteur de la distribution alimentaire.

La seconde clause modifiée à l’occasion du changement d’enseigne concerne l’obligation de non-concurrence et de non-réaffiliation. Alors qu’en application du contrat Champion, les franchisés étaient tenus d’une obligation de non-conucrrence et de non-réaffiliation uniquement pendant la durée du contrat,  le contrat de franchise Carrefour Market étend cette obligation aux deux années suivant sa résiliation. Une fois de plus, cette disposition est contraire aux recommandations formulées par l’Autorité de la concurrence dans son avis précité du 7 décembre 2010. Il y est en effet recommandé de limiter à un an et au magasin objet du contrat les clauses de non-concurrence et de non-réaffiliation post-contractuelles.

Enfin, le contrat de franchise Carrefour Market, accorde au franchiseur un droit de priorité en cas de cession du fonds de commerce non seulement pendant la durée du contrat (comme cela était d’ailleurs prévu dans le contrat Champion), mais également pendant les deux années suivant sa résiliation.

Au-delà des restrictions évidentes qu’elles apportent à la liberté du franchisé, ces  pratiques constituent aussi un abus de position dominante susceptible de fausser le fonctionnement du marché. C’est précisément à ce titre que l’Autorité de la concurrence a considéré que le litige était de son ressort. Ainsi souligne-t-elle que «les différentes pratiques précitées sont considérées comme susceptibles d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence dans la mesure où, soit les sociétés saisissantes souscrivent au contrat Carrefour Market, se liant ainsi de façon encore plus irrémédiable au groupe Carrefour, soit elles y renoncent et voient leur compétitivité dégradée du fait de la moindre visibilité de l’enseigne Champion combinée au maintien des redevances de franchise à leur niveau initial ».

Afin de répondre à ces préoccupations, Carrefour a soumis une série de mesures à l’Autorité de la concurrence en application de la procédure d’engagement prévue à l’article L464-2 I du Code de commerce.  Cet article met en place une procédure originale, par laquelle l’autorité de la concurrence peut  “accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques prohibées visées aux articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5”.

Pour l’essentielle, les mesures proposées par Carrefour consistent à aligner les clauses litigieuses sur le régime prévu dans le contrat Champion. L’abus de dépendance économique est ainsi évité et les droits du franchisé préservés. Pour autant, la protection des droits du franchisé ne saurait justifier à elle seule les mesures imposées par l’Autorité de la concurrence, au risque de la voir sortir de ses attributions.

L’intervention limitée de l’Autorité de la concurrence aux comportements affectant le fonctionnement du marché

Outre l’abus de dépendance économique découlant de la modification du contrat de franchise, les saisissantes formulaient d’autres griefs à l’encontre du franchiseur. Elles estimaient notamment que Carrefour aurait du prendre en charge l’intégralité des travaux liés spécifiquement au changement d’enseigne, dès lors que cette mesure avait été imposée par le franchiseur. Cette requête semble au premier abord légitime. Pour autant, l’Autorité de la concurrence l’a écartée de façon assez surprenante, en considérant  que « si Carrefour n’avait pas décidé de remplacer l’enseigne Champion par l’enseigne Carrefour Market, il aurait en tout état de cause été amené à améliorer le concept Champion et les sociétés saisissantes auraient dû procéder aux travaux afférents, au risque, sinon, de constater une dégradation de l’enseigne et des ventes des magasins Champion”. L’Autorité insiste par ailleurs longuement sur la hausse du chiffre d’affaire attendue suite au changement d’enseigne… d’après les chiffres fournis par la société Carrefour elle-même !! Ces arguments sont pour le moins déroutants et l’Autorité de la concurrence aurait sans doute pu se contenter de considérer que “le partage des coûts des travaux liés au changement d’enseigne proposé par Carrefour n’est pas de nature à affecter la concurrence sur le marché concerné.” Cette simple assertion eût suffit à écarter la compétence de l’Autorité.

De façon similaire, l’Autorité de la concurrence s’est estimée incompétente pour statuer sur l’augmentation du montant des redevances de fidélité. Les saisissantes soutenaient en effet qu’elles avaient été contraintes de signer un nouveau contrat de fidélisation, qui leur était particulièrement désavantageux. En réponse à cet argument, l’Autorité de la concurrence se borne à souligner que rien ne permet de conclure que « de telles hausses seraient de nature à affecter le jeu de la concurrence sur le marché ». La question, qui concerne alors l’appréciation du caractère proportionné ou non des redevances versées par les franchisés, relève du juge commercial en non pas de l’Autorité de la concurrence, « dès lors que ces pratiques n’affectent pas le jeu de la concurrence sur le marché concerné ».

 

En somme, l’Autorité de la concurrence rappelle que sa mission consiste à veiller au bon fonctionnement du marché et non pas à insuffler de l’équité dans les relations contractuelles. Pour autant, l’avis du 16 décembre 2011 constitue indéniablement une avancée pour la protection des franchisés et un exemple édifiant de recours à la procédure d’engagement dans un contexte inédit.

La Cour de Cassation consacre le principe d’une information réaliste du futur franchisé et ce y compris si celui-ci est déjà un professionnel du secteur !

L’obligation d’information pèse sur le franchiseur… même si le candidat à la franchise est déjà un professionnel du secteur d’activité concerné

Commentaire de l’arrêt rendu le 25 juin 2013 par la Cour de cassation (N° de pourvoi: 12-20815).

Dans cette affaire un franchisé déjà en activité dans un réseau avait crée un second fonds après avoir pris connaissance des comptes prévisionnels fournis par le franchiseur.

Après une rupture du contrat les parties se sont retrouvées devant le tribunal et le franchisé a alors soulevé la nullité du contrat au motif qu’il avait été trompé par les prévisionnels du franchiseur.

Les juges lui ont donné raison ! ils ont estimé que l’écart entre les prévisionnels et les réalisés prouvaient que les premiers étaient irréalistes.

Ils ont estimé que le franchiseur aurait du établir ces comptes prévisionnels à partir d’expériences réelles portant sur la période antérieure à la signature du contrat.

 Ainsi la cour de Cassation entérine un raisonnement que nous pronons depuis des années à savoir que les comptes prévisionnels doivent être établis à partir des chifffres réels de fonds en activité !

L’arrêt mérite d’être cité in extenso :  

 

Mais attendu qu’après avoir retenu que, même si le dirigeant de la société CLE n’était pas novice pour avoir repris avec succès un centre de lavage de la même enseigne dans une autre région quelques années auparavant, la société Hypromat devait lui communiquer des chiffres sérieux concernant le marché local, l’arrêt relève que le chiffre d’affaires prévisionnel annoncé par le franchiseur s’est révélé deux fois supérieur à celui réalisé par la société CLE qui, même après plusieurs années d’exploitation, n’a jamais réussi à atteindre le montant annoncé pour la première année ; qu’il ajoute que cet écart dépasse la marge habituelle d’erreur en la matière, qu’aucune défaillance dans la gestion de l’entreprise par le franchisé n’est de nature à l’expliquer et que la société Hypromat ne fournit aucun exemple de centres de lavage implantés dans des agglomérations de taille similaire ayant réalisé entre 2003 et 2008 des chiffres d’affaires comparables aux prévisions annoncées ; qu’il en déduit que la société Hypromat, qui a fourni à la société CLE un prévisionnel irréaliste et chimérique, a failli à son obligation d’information et que la société CLE, trompée sur cet élément déterminant dans le calcul des risques qu’elle prenait en ouvrant un centre, a ainsi été victime d’un vice du consentement ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui n’avait pas à suivre la société Hypromat dans le détail de son argumentation, a justifié sa décision sans être tenue de procéder aux recherches inopérantes visées aux première, deuxième et cinquième branches ; que le moyen n’est pas fondé.

Cette décision est très encourageante et donne un axe de réflexion clair sur les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de la tête de réseau.

 

Clause de non réafiliation – n° 10/24013 du 3 avril 2013

 La clause de non réafiliation prévue en cas de résiliation anticipée d’un contrat de franchise dans le secteur de la distribution alimentaire ne se justifie pas par la nécessité de protéger le savoir faire du franchiseur. L’ancien franchiseur ne peut rechercher la responsabilité du nouveau fournisseur en se fondant sur la violation de la clause de non réafiliation.

CA Paris PÔLE 05 CH. 043 avril 2013N° 10/24013

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Décembre 2010 – Tribunal de Commerce d’EVRY – 3ème Chambre RG n° 2008F00212

 Jonction RG N° 10/24273

APPELANTE

 SAS DISTRIBUTION ALIMENTAIRE PARISIENNE DIAPAR prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Ayant son siège social

ZI du Moulin à Vent Rue des Mares Juliennes
91380 CHILLY MAZARIN

Représentée par la SELARL GUIZARD ET ASSOCIES (Me Michel GUIZARD), avocats au barreau de PARIS, toque L0020
Assistée de Me Pascal BROUARD plaidant pour la SCP BROUARD, avocat au barreau de PARIS, toque P 64

INTIMES

Société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE – SAS anciennement dénommée PRODIM agissant poursuites et diligences de son Président en exercice y domicilié

Ayant son siège social
Zone Industrielle Route de Paris
14120 MONDEVILLE

Société CSF CHAMPION SUPERMARCHE FRANCE SAS agissant poursuites et diligences de son Président en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Ayant son siège social
Z. I. Route de Paris
14120 MONDEVILLE

 Représentées par la SELARL SELARL PELLERIN – DE MARIA – GUERRE (Me Luca DE MARIA), avocats au barreau de PARIS, toque L0018

 Assistées de Me Pascal COSSE plaidant pour cabinet Baron Cossé & Gruau, avocats au barreau d’Evreux

Monsieur Christian R.
5/7 Rue Gambetta

Assignée à personne et n’ayant pas constitué avocat

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 février 2013, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame COCCHIELLO, Président et Madame LUC, Conseiller chargée d’instruire l’affaire.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame COCCHIELLO, Président

Madame LUC, Conseiller, rédacteur

Mme POMONTI, Conseiller désignée par ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d’Appel de Paris en vertu de l’article R 312-3 du code de l’organisation judiciaire pour compléter la chambre.

Greffier, lors des débats : Madame GAUCI

ARRÊT :

– réputé contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame COCCHIELLO, Président et par Madame GAUCI, Greffier auquel la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

*****

Vu le jugement rendu le 08 décembre 2010 par lequel le Tribunal de commerce d’ Evry a déclaré recevables mais mal fondées les tierces oppositions incidentes formées par la société DIAPAR «’DISTRIBUTION ALIMENTAIRE PARISIENNE’» (ci-après DIAPAR) contre les sentences arbitrales des 26 décembre 2006 et 20 juin 2008, jugé qu’il y a eu violation, par M. Christian R., des articles 3.3.2 et 6 du contrat de franchise signé avec la société PRODIM et de l’article premier du contrat d’approvisionnement signé avec la société CSF, constaté que la société DIAPAR a participé aux violations précitées et engagé sa responsabilité, condamné, sous le régime de l’exécution provisoire, la société DIAPAR à verser la somme de 40.000€ à la société PRODIM

pour sa participation aux violations de l’interdiction d’adhérer à un réseau concurrent et de la clause de non réaffiliation du contrat de franchise, condamné la société DIAPAR à verser à la société CSF la somme de 41.670€ eu réparation du préjudice subi au titre de la perte de marge pour non-exécution du contrat d’approvisionnement, débouté la société DIAPAR de toutes ses demandes reconventionnelles, condamné la société DIAPAR au versement de la somme de 5.000€ à chacune des sociétés PRODIM et CSF sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile’;

Vu l’appel interjeté par la société DIAPAR le 16 décembre 2010 ;

Vu l’ordonnance de jonction des deux appels du conseiller de la mise en état de la Cour d’appel de Paris, en date du 18 janvier 2011 ;

Vu les conclusions signifiées par la société DIAPAR le 15 février 2013 afin que le jugement entrepris soit infirmé en ce qu’il emporte condamnation de la société DIAPAR, que les articles 3.3.2 et 6 du contrat de franchise et l’article 1 du contrat d’approvisionnement soient dit nuls et de nul effet en ce qu’ils constituent des pratiques anticoncurrentielles prohibées, qu’il soit dit que les dispositions des sentences arbitrales rendues le 26 décembre 2006 et le 20 juin 2008 portent préjudice à la société DIAPAR et qu’elles soient réformées en ce qu’elles ont condamné M. R. à indemniser les sociétés PRODIM et CSF, que les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (anciennement dénommée PRODIM) et CSF soient déboutées de leurs demandes à l’encontre de la société DIAPAR, que les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) et CSF soient condamnées, in solidum, à verser à la société DIAPAR la somme de 500.000€ au titre du préjudice subi du fait de leurs pratiques restrictives de concurrence, à titre subsidiaire que la Cour saisisse l’Autorité de la Concurrence pour avis sur la conformité de la clause de non réaffiliation et de la clause d’adhésion prévues dans les contrats de franchise de la société PRODIM et de la clause d’approvisionnement prioritaire prévue par le contrat d’approvisionnement, que les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) et CSM soient condamnées in solidum au paiement d’une somme de 50.000€ pour procédure abusive, et d’une somme de 40.000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;

Vu les conclusions signifiées par les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) et CSF le 19 février 2013 afin que la société DIAPAR soit déclarée irrecevable et mal fondée en sa tierce opposition incidente à l’encontre des deux sentences arbitrales, que les violations, par M. R., des clauses 3.3.2 et 6 du contrat de franchise et de l’article 1 du contrat d’approvisionnement soient constatées, que la société DIAPAR soit déboutée de toutes ses demandes reconventionnelles, que soient déclarées irrecevables les demandes tendant à réformer les sentences arbitrales en ce qu’elles ont condamné M. R., qu’il soit dit que la société DIAPAR a activement et intentionnellement participé à la violation des obligations contractuelles de M. R. à l’égard de CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) et CSF et qu’en conséquence elle a engagé sa responsabilité délictuelle, que la société DIAPAR soit condamnée à verser à la société CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) les sommes de 120.000€ pour sa participation à la violation d’interdiction d’adhérer à un réseau concurrent, 180.000€ pour participation à la violation d’une clause de non réaffiliation et 150.000€ au titre de la désorganisation du réseau PRODIM, et à verser à la société CSF la somme de 667.303€, que la société DIAPAR soit enfin condamnée à verser à chacune de ces sociétés une somme de 10.000€ sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile’;

SUR CE

Considérant qu’il résulte de l’instruction les faits suivants’:

Le 16 avril 1997, la société PRODIM et M. Christian R. ont signé un contrat de franchise

relatif à l’exploitation de son fonds de commerce, situé à CHERBOURG, sous l’enseigne «’SHOPI’».

Le contrat, d’une durée initiale de sept ans, comportait une clause de renouvellement par tacite reconduction par période de quatre ans, à défaut de dénonciation par l’une ou l’autre des parties par lettre recommandée avec accusé de réception, dans le respect d’un préavis de six mois. La résiliation pour faute du franchisé est prévue à l’article 7, un mois après une mise en demeure. «’Une indemnité forfaitaire de résiliation HT égale à un an de cotisation de franchise calculée sur le Chiffre d’affaires TTC réalisé par le franchisé au cours des 12 mois précédents si la rupture de l’accord résulte d’une faute de ce dernier’» est stipulée à l’article 6.

L’exécution du contrat a été suspendue pendant une durée de deux ans si bien qu’il a été convenu qu’il n’expirerait que le 16 avril 2006.

Les articles 3.3.2 et 6 du contrat comportaient des clauses visant d’une part l’obligation du franchisé de non adhésion à «’une autre organisation ou groupement commercial (‘) ou organisme de distribution’» pendant la durée de l’accord et, d’autre part, de non réaffiliation à une enseigne et interdiction de vente de marchandises dont les marques y sont liées, en cas de rupture anticipée pendant une durée d’une année.

Le 3 octobre 2000, la société LOGIDIS, aux droits de laquelle se trouve la société CSF, a signé avec M. R., pour les besoins de l’exploitation de son fonds de commerce, un contrat d’approvisionnement pour une durée de cinq années, reconduite par période d’un an, sous réserve d’une dénonciation sous préavis de six mois. Ce contrat comportait, à l’article premier, l’engagement de M. R. de s’approvisionner de façon prioritaire auprès de la société LOGIDIS, ou bien auprès des fournisseurs que celle-ci aurait agréés. L’article 9 de ce contrat prévoyait la faculté pour le fournisseur de résilier le contrat pour faute du franchisé 15 jours après l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception. Le contrat prévoyait également une indemnité forfaitaire de résiliation due au fournisseur, égale à la perte de marge brute sur les années restant à courir, au moins égale à deux années.

Constatant, à la fin de l’année 2003, que M. R. s’approvisionnait de façon importante auprès d’un fournisseur concurrent, la société DIAPAR, la société CSF communiquait à celle-ci, par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 novembre 2003, copie du contrat d’approvisionnement signé par M. R.. Par lettre recommandée avec accusé de réception de la même date, la société PRODIM lui adressait une copie du contrat de franchise signé avec M. R.. Chacune des deux sociétés précisait à la société DIAPAR qu’elles entendaient voir leur contrat exécuté et respecté jusqu’à son échéance, faute de quoi, si la société DIAPAR passait outre, elles la considèreraient tiers complice, avec toute conséquence de droit.

Par jugement du 17 décembre 2004, le Tribunal de Commerce de CHERBOURG a débouté la société CSF de sa demande de voir interdire à M. R., sous astreinte, de s’approvisionner auprès d’une centrale concurrente. La société CSF relevait appel de ce jugement, mais se désistait par la suite.

La société PRODIM, quant à elle, mettait en demeure, le 15 juin 2005, M. R. de respecter son obligation de ne pas adhérer pendant la durée de son contrat, en tout ou partie auprès d’un organisme concurrent. Le 25 octobre 2005, elle constatait la résiliation du contrat et sollicitait la mise en œuvre d’une procédure d’arbitrage, conformément à l’article 12 dudit contrat.

Le Tribunal arbitral concluait, dans sa sentence du 26 décembre 2006, que M. R. avait violé ses obligations de non adhésion de juin à octobre 2005, puis de non réaffiliation post contractuelle le liant à PRODIM, l’achat de produits auprès de la société DIAPAR violant, selon lui, à la fois la clause de non adhésion pendant le contrat et la clause de non réaffiliation post contractuelle. M. R. a été condamné à payer les sommes de 18 213,75 euros à titre d’indemnité de résiliation,

80 000 euros pour violation de la clause de non adhésion, 20 000 euros pour la commercialisation, après la fin du contrat, des MDD de la société DIAPAR, «’Belle France’» et «’Winny’», et 75 000 euros pour atteinte à l’image du réseau résultant de ces violations contractuelles. Les pratiques ont été succinctement examinées sous l’angle du droit de la concurrence, à la demande de M. R., mais en vain.

Par suite, la sentence rendue le 20 juin 2008 par le Tribunal arbitral retenait que M. R. avait violé l’obligation d’approvisionnement prioritaire prévue par l’article 1er du contrat d’approvisionnement le liant à CSF, en s’approvisionnant majoritairement auprès de la société DIAPAR. Après un bref examen de sa situation de dépendance économique, demandé par M. R., le Tribunal arbitral a estimé qu’aucune pratique anticoncurrentielle n’avait été commise, et l’a condamné à payer la somme de 150 000 euros.

A la requête des société PRODIM et CSF, la société DIAPAR a été assignée à comparaître en tierce complicité devant le Tribunal de commerce d’Evry, par exploit du 14 mars 2007.

Le 5 mars 2008, M. R. a été assigné à comparaitre par la société DIAPAR en intervention forcée devant le Tribunal de commerce d’Evry, dans la suite de l’assignation dont elle avait fait l’objet.

Par le jugement déféré, le Tribunal a partiellement fait droit aux demandes des requérantes. Il a estimé que la société DIAPAR avait contribué à la violation, par M. R., des articles 3.3.2 (obligation de non adhésion) et 6 (clause de non réaffiliation) du contrat de franchise, ainsi que de l’article 1 du contrat d’approvisionnement prioritaire.

C’est dans ces conditions de fait et de droit qu’est née la présente instance.

Sur l’irrecevabilité des deux tierces oppositions incidentes de la société DIAPAR

Considérant que les intimées prétendent qu’une sentence arbitrale n’est pas susceptible de faire l’objet d’une tierce opposition incidente, sur le fondement des articles 1481 et 588 du Code de procédure civile, que la tierce opposition de la société DIAPAR est irrecevable sur le fondement de l’article 583 du Code de procédure civile, car l’appelante n’invoque pas de moyens propres et qu’enfin, l’effet dévolutif de la tierce opposition, dans l’hypothèse où elle serait recevable, limite le débat aux trois seules questions tranchées par les deux sentences arbitrales ;

Considérant que, si les deux sentences ne sont revêtues que d’une autorité relative de chose jugée qui n’a donc d’effets qu’entre les parties, elles n’en sont pas moins opposables aux tiers, de sorte que, bien que la société DIAPAR ne fut pas partie à la procédure arbitrale, la méconnaissance par M. R. des clauses susvisées au préjudice des sociétés PRODIM et CSL constitue un fait juridique dont la matérialité ne saurait être contestée dans le cadre du présent litige ;

Considérant que, pour écarter les conséquences d’une telle opposabilité relativement à la complicité de la violation de ces clauses de non adhésion, de non réaffiliation post contractuelle et d’approvisionnement prioritaire qui lui est imputée, la société DIAPAR a formé tierce opposition aux sentences ainsi rendues devant le Tribunal de commerce d’Evry qui l’a déclarée recevable ;

Considérant qu’il ressort de l’article 583, alinéa premier, du Code de procédure civile qu’ «’est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque’» ; que par ailleurs l’intérêt d’une partie au succès d’une prétention doit être légitime, né et actuel, positif et concret ; qu’en l’espèce, les sentences arbitrales à l’encontre desquelles la société DIAPAR entend former tierce opposition, d’une part, reconnaissaient des manquements, dûment établis et constatés, de M. R. aux clauses susvisées, et, d’autre part, sont opposables à l’appelante dont la responsabilité est recherchée dans le

cadre de la présente instance au titre de la complicité dans la violation de ladite clause; que, dès lors, elle justifie de l’existence d’un intérêt à la réformation des deux sentences ;

Mais considérant que, cela étant posé, l’article 1501 du Code de procédure civile dispose que «'(la sentence arbitrale) peut être frappée de tierce opposition devant la juridiction qui eût été compétente à défaut d’arbitrage, sous réserve des dispositions du premier alinéa de l’article 588 alinéa 1 » ; que la tierce opposition peut donc non seulement être formée à titre principal, dans les conditions posées par le texte précité, mais aussi à titre incident, dans les conditions posées par l’article 588 alinéa 1 ; que celui ci dispose que «’la tierce opposition incidente à une contestation dont est saisie une juridiction est tranchée par cette dernière si elle est de degré supérieur à celle qui a rendu le jugement ou si, étant d’égal degré, aucune règle de compétence d’ordre public n’y fait obstacle. La tierce opposition est alors formée de la même manière que les demandes incidentes’» ; que l’article 1501 du Code de procédure civile, ne renvoie pas à l’article 588, alinéa 2, du Code de procédure civile, qui énonce que dans «’les’autres cas,’la tierce opposition incidente est portée, par voie de demande principale, devant la juridiction qui a rendu le jugement’» ; qu’ainsi, la tierce opposition incidente à une sentence arbitrale est possible devant une Cour d’appel ou une juridiction de premier degré, puisqu’aucune règle de compétence d’ordre public n’y fait obstacle ; que la Cour d’appel est, en l’espèce, saisie d’un appel contre le jugement du Tribunal de commerce qui était lui-même compétent pour en connaître ; que le moyen tiré de l’impossibilité de former tierce opposition incidente d’une sentence arbitrale doit donc être rejeté ;

Considérant que les intimées excipent de l’article 583 du Code de procédure civile, pour prétendre que la société DIAPAR, créancière de M. R., n’avait aucun moyen propre à faire valoir et que sa tierce opposition serait donc irrecevable ;

Mais considérant que cet article dispose qu »«’Est recevable à former tierce opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu’elle n’ait été ni partie ni représentée au jugement qu’elle attaque. Les créanciers et autres ayants cause d’une partie peuvent toutefois former tierce opposition au jugement rendu en fraude de leurs droits ou s’ils invoquent des moyens qui leur sont propres. (…)’» ; qu’il en résulte que les parties représentées ne peuvent faire tierce opposition, sauf les parties créancières dans les cas de fraude ou pour invoquer des moyens propres ; que cet article n’a donc pas la signification alléguée par les intimées et est donc inopérant en l’espèce, la société DIAPAR n’ayant pas été représentée devant les arbitres ;

Considérant enfin que les intimées exposent que l’effet dévolutif de ce recours est limité par les dispositions de l’article 582 qui dispose : «’La tierce opposition tend à faire rétracter ou réformer un jugement au profit du tiers qui l’attaque. Elle remet en question relativement à son auteur les points jugés qu’elle critique, pour qu’il soit à nouveau statué en fait et en droit’» ; qu’ainsi, selon elles, la société DIAPAR ne pourrait remettre en cause que la constatation de la violation des clauses par M. R. sans pouvoir avancer des moyens tirés d’infractions au droit de la concurrence ;

Mais considérant que si aucune prétention nouvelle ne peut être formée par rapport aux prétentions jugées qui sont critiquées, l’effet dévolutif de la tierce opposition autorise l’auteur du recours à invoquer les moyens qu’il aurait pu présenter s’il était intervenu à l’instance, à l’appui de sa prétention ; qu’ainsi, les moyens tirés de la violation du droit de la concurrence, qui soutiennent la prétention selon laquelle les clauses n’ont pas pu être violées par M. R. puisqu’elles sont nulles et de nul effet, sont-ils recevables ;

Sur le fond

Sur la clause d’approvisionnement prioritaire

Considérant que l’article 1 du contrat d’approvisionnement type proximité, signé entre LOGIDIS et M. R. stipule que «’le client s’engage à s’approvisionner de façon prioritaire auprès de

LOGIDIS ou auprès de fournisseurs que LOGIDIS a spécialement agréés’» ;

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que la société LOGIDIS a interprété et appliqué cette clause comme une clause d’approvisionnement exclusif, qui constitue une clause anticoncurrentielle par objet ;

Considérant, en effet, que s’étant aperçu que M. R. s’approvisionnait auprès de DIAPAR, la société LOGIDIS l’a assigné en référé devant le Tribunal de commerce de CHERBOURG aux fins qu’il lui soit interdit, sous astreinte, de s’approvisionner auprès d’une centrale concurrente ; que cette assignation traduit l’interprétation de la clause par la société LOGIDIS, de même que la lettre adressée par elle à la société DIAPAR, le 7 novembre 2003 ; que selon cette interprétation, la clause interdit en réalité au franchisé de s’approvisionner auprès de centrales d’achat qui peuvent être apparentées à des réseaux concurrents et sa violation constitue d’ailleurs également, selon PRODIM, une violation de la clause de non adhésion à un réseau du contrat de franchise, entraînant la résiliation du contrat de franchise aux torts du franchisé ; que la clause de non adhésion, telle qu’appliquée par la société PRODIM, aboutit donc à imposer au franchisé un approvisionnement exclusif auprès de la société CSF puisque c’est la société PRODIM qui décide en réalité du fournisseur auprès duquel le franchisé peut s’approvisionner sans violer l’article 3.3.2 précité ; il faut noter à cet égard que l’article 25 du contrat de franchise prévoit que le franchiseur détermine «’un assortiment minimum devant obligatoirement figurer dans le type de magasin’», le franchisé s’engageant à «’détenir l’assortiment minimum défini par le franchiseur notamment en matière de «’marques propres’» ; que le fournisseur de ces marques propres étant la société LOGIDIS, les deux contrats forment un tout indissociable et la clause d’approvisionnement prioritaire doit être analysée dans ce contexte ;

Considérant qu’il en résulte que cette clause, appliquée comme une clause d’approvisionnement exclusif, doit, pour être licite au regard du droit de la concurrence, être indispensable à la mise en oeuvre d’un accord de franchise, c’est-à- dire organiser le contrôle indispensable à la préservation de l’identité et de la réputation du réseau qui est symbolisé par l’enseigne ; que les lignes directrices de la Commission sur les restrictions verticales (JOCE du 13 octobre 2000, C 291/29), qu’il faut considérer comme un guide d’analyse utile, précisent : « une obligation de non concurrence relative aux biens et services achetés par le franchisé ne relèvera pas de l’article 81 paragraphe 1 lorsqu’elle est nécessaire au maintien de l’identité commune et de la réputation du réseau franchisé. Dans de tels cas, la durée de l’obligation n’est pas un facteur pertinent au regard de l’article 81 paragraphe 1 pour autant qu’elle n’excède pas celle de l’accord de franchise lui-même » (paragraphe 200) ; qu’ainsi, dans le cadre d’un réseau de franchise, la sauvegarde de l’identité du réseau ainsi que la protection du savoir-faire du franchiseur justifient l’exercice par ce dernier d’un certain contrôle sur la politique commerciale des franchisés, qui ne saurait excéder ce qui est strictement nécessaire à la réalisation de ces objectifs ; qu’en l’espèce, l’obligation d’approvisionnement exclusif ne saurait être validée que si elle s’avère nécessaire à la cohésion du réseau, en raison notamment de la spécificité des marchandises vendues ; que dans le commerce de distribution alimentaire, l’exclusivité d’approvisionnement ne peut viser que les marchandises propres au réseau, qui sont notamment les MDD ; que l’objectif du maintien de l’identité commune et de la réputation du réseau de distribution SHOPI permet donc au franchiseur d’exercer un contrôle sur l’approvisionnement du franchisé, en terme d’assortiment minimum dans ses marques propres, permettant de garantir que les clients disposent d’un produit de sa marque, homogène dans l’ensemble des supérettes SHOPI ; qu’interdire en revanche tout approvisionnement que ce soit, même en marques nationales, auprès de centrales d’achat concurrentes, produits qui ne se distinguent absolument pas les uns des autres selon le grossiste vendeur, sauf par les prix, s’avère totalement disproportionné à la défense des intérêts légitimes du franchiseur, et constitue une clause anticoncurrentielle, car elle n’est pas proportionnée aux nécessités de la protection du savoir-faire, du réseau et de la défense des intérêts légitimes du franchiseur ; qu’elle vise, en réalité, à se garantir l’approvisionnement intégral du magasin SHOPI aux prix déterminés par CARREFOUR et empêche le franchisé de bénéficier de prix plus intéressants ; que ces objectifs sont étrangers à la protection des intérêts légitimes du franchiseur,

mais ont pour effet de porter une atteinte illégitime à la liberté du franchisé d’exercer son commerce dans des conditions normales ; que, par suite, ces obligations sont contraires aux dispositions de l’article L. 420-1 du Code de commerce ; que cette clause échappe à l’exemption automatique du règlement 330/2010, selon l’article 5 de celui ci qui dispose :’«’ 1. L’exemption prévue à l’article 2 ne s’applique pas aux obligations suivantes contenues dans des accords verticaux : a) toute obligation directe ou indirecte de non concurrence dont la durée est indéterminée ou dépasse cinq ans’», une obligation de non concurrence étant définie comme «'(…) toute obligation directe ou indirecte imposant à l’acheteur l’obligation d’acquérir auprès du fournisseur ou d’une autre entreprise désignée par le fournisseur plus de 80 % de ses achats annuels en biens ou en services contractuels et en biens et en services substituables sur le marché en cause, calculés sur la base de la valeur ou, si cela est de pratique courante dans le secteur, du volume des achats qu’il a effectués au cours de l’année civile précédente’» ;

Considérant que la société CARREFOUR prétend qu’il s’agit d’une clause d’approvisionnement majoritaire auprès de la société LOGIDIS, suivi en cela par le Tribunal arbitral ; que le Tribunal de commerce de CHERBOURG en a eu une autre interprétation selon laquelle le franchisé est autorisé à s’approvisionner auprès de concurrents, si les prix pour des articles équivalents sont plus bas que ceux de LOGIDIS ; qu’en toute hypothèse, la société DIAPAR ne peut se voir reprocher d’avoir contribué à violer cette clause, dont l’ambiguïté est démontrée par ses multiples interprétations, et à laquelle les sociétés intimées ont conféré une portée anticoncurrentielle ; que n’ayant commis aucune faute, la société DIAPAR ne peut être poursuivie pour tierce complicité de la prétendue violation d’une clause à la portée incertaine ; que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ;

Sur la clause de non adhésion prévue au contrat de franchise

Considérant que l’article 3.3.2 du contrat de franchise dispose que le franchisé s’engage à «’ne pas adhérer pendant la durée de l’accord pour une activité similaire à un autre organisation ou groupement commercial, en tout ou en partie ou à un autre organisme de distribution, quelle qu’en soit la forme juridique ou économique’» ; que la société PRODIM prétend qu’en s’approvisionnant auprès de la société DIAPAR, sans avoir pour autant adopté aucune enseigne concurrente, M. R. aurait violé ladite clause ;

Considérant que les clauses restreignant la liberté du franchisé sont d’interprétation stricte ; que la société DIAPAR est une centrale d’achat et non un «’organisme de distribution’», concurrent de la société PRODIM ; que la circonstance que la société DIAPAR anime par ailleurs les enseignes G 20, DIAGONAL et CITYS est indifférente au présent litige ; qu’on peut, en revanche, la qualifier du terme flou employé dans la clause de « autre organisation ou groupement commercial’» ; mais que, il ne peut être inféré de l’approvisionnement auprès de la société DIAPAR, même majoritaire, l’adhésion à cette centrale d’achat, celle-ci devant être démontrée par le franchiseur et ne pouvant se présumer ; qu’une telle interprétation de la clause, qui a été celle retenue par le Tribunal arbitral, conduit, comme vu plus haut, à une interdiction de s’approvisionner auprès d’un organisme concurrent, quelqu’il soit, à la discrétion du franchiseur, si l’instauration de relations commerciales suivies avec un partenaire implique une «’adhésion’» au sens du contrat ; que l’application donnée par la société PRODIM à cette clause lui confère une portée de clause d’approvisionnement exclusif auprès du franchiseur, exclusivité qui est constitutive d’une pratique anticoncurrentielle, comme vu plus haut ; qu’en toute hypothèse, la société DIAPAR ne peut se voir reprocher d’avoir contribué à violer cette clause, dont l’ambiguïté ressort de ses multiples interprétations, et à laquelle les sociétés intimées ont conféré une portée anticoncurrentielle que n’ayant commis aucune faute, la société DIAPAR ne peut être poursuivie pour tierce complicité d’une clause sur la portée de laquelle personne ne s’accorde ; que le jugement entrepris sera infirmé sur ce point ;

Sur la clause de non réaffiliation’ post contractuelle

Considérant que l’article 6 du contrat de franchise stipule qu’ «’En cas de rupture de la présente

convention avant son terme et sans préjudice de l’exercice de la clause pénale ci-dessus et de toute demande de dommages intérêts complémentaire, le franchisé s’oblige à ne pas utiliser directement ou indirectement, personnellement ou par personne interposée, en société ou autrement, durant une période de un an à compter de la date de résiliation du présent contrat, une enseigne de renommée nationale ou régionale déposée ou non et à ne pas offrir en vente des marchandises dont les marques sont liées à ces enseignes (marques propres) ceci dans un rayon de cinq kilomètres du «’magasin Shopi’» faisant l’objet du présent accord’» ; que la clause est libellée de telle sorte que l’obligation de non réaffiliation ne pèse sur l’ex franchisé que si le contrat est rompu avant son terme ;

Considérant que les clauses de non affiliation ou de non concurrence post contractuelles peuvent être considérées comme inhérentes à la franchise dans la mesure où elles permettent d’assurer la protection du savoir faire transmis qui ne doit profiter qu’aux membres du réseau et de laisser au franchiseur le temps de réinstaller un franchisé dans la zone d’exclusivité ; que ces clauses doivent cependant rester proportionnées à l’objectif qu’elles poursuivent ;

Considérant qu’il convient tout d’abord de souligner que la clause litigieuse comporte une interdiction de réaffiliation, mais également de vente de produits MDD provenant de réseaux ; que la restriction apportée à la liberté commerciale du franchisé est donc plus grande ;

Considérant que M. R. n’a violé que la seconde obligation, en commercialisant la marque Belle France ;

Considérant que s’agissant des justifications alléguées par les sociétés PRODIM et CSF, et sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur le caractère substantiel du savoir faire de la société PRODIM, sa consistance apparaît, de prime abord, limitée ; qu’eu égard, notamment, à la généralité du commerce alimentaire de proximité concerné, et à la nature du savoir faire transféré, nécessairement lié à celle du commerce exploité, et donc en l’espèce de faibles technicité, spécificité, et originalité, il n’est aucunement établi que les obligations de l’article 6 du contrat soient indispensables à la protection du savoir faire transféré, et encore moins la seule obligation de ne pas vendre de MDD concurrentes ;

Considérant que l’interdiction de commercialiser des MDD de réseaux concurrents, pendant un an et sur un rayon de 5 kilomètres et non dans le seul magasin concerné, et alors que l’ancien franchisé n’adhère à aucun réseau et n’arbore aucune enseigne, ne peut être justifiée par la protection de l’image de marque du réseau, l’ancienne enseigne ayant été déposée et aucune nouvelle enseigne n’étant exposée ; que la société PRODIM a elle même proposé des produits de marque Winny à ses franchisés et les marques de MDD de la société PRODIM (Grand Jury, Reflets de France) sont disponibles dans toutes les enseignes ;

Considérant, par ailleurs, que la protection du savoir faire et des intérêts légitimes du franchiseur est d’autant moins concernée par la clause qu’elle ne s’applique pas lorsque le contrat vient normalement à son terme, mais seulement s’il prend fin par anticipation en raison de fautes du franchisé ; que l’obligation de non réaffiliation litigieuse est conçue par les sociétés CARREFOUR et CSF comme une mesure préventive, visant à décourager les franchisés de quitter prématurément le réseau ;

Mais considérant que cette utilisation d’une obligation de non réaffiliation à titre de pénalité ou de mesure préventive, est étrangère à la protection des intérêts concurrentiels du franchiseur ; que cet objectif ne peut légitimer le recours à des clauses restrictives de concurrence ; que le franchisé déloyal est déjà sanctionné par la clause pénale prévue au contrat et il s’avère totalement inapproprié et disproportionné de le sanctionner par une atteinte à sa liberté commerciale aussi lourde que celle de la clause litigieuse ;

Considérant, enfin, que disproportionnée au but poursuivi, la clause l’est aussi dans sa durée et son périmètre ; qu’il n’est pas démontré que le commerce de distribution de détail alimentaire présente une technicité telle qu’il impose une clause de non réaffiliation d’une durée d’un an et d’un périmètre

de 5 kilomètres autour du magasin concerné ;

Considérant, par ailleurs, que la clause litigieuse est exclue du bénéfice de toute exemption par catégorie, au sens du règlement 330/2010 ; qu’en effet, elle relève du b) de l’article 5 du règlement qui énumère les restrictions exclues de l’exemption prévue à l’article 2 et cite parmi celles ci «’b) toute obligation directe ou indirecte interdisant à l’acheteur, à l’expiration de l’accord, de fabriquer, d’acheter, de vendre ou de revendre des biens ou des services’» ; que «’par dérogation au paragraphe 1, point b), l’exemption prévue à l’article 2 s’applique à (cette obligation) (‘) lorsque les conditions suivantes sont remplies: a) l’obligation concerne des biens ou des services en concurrence avec les biens ou services contractuels ; b) l’obligation est limitée aux locaux et aux terrains à partir desquels l’acheteur a exercé ses activités pendant la durée du contrat ; c) l’obligation est indispensable à la protection d’un savoir faire transféré par le fournisseur à l’acheteur ; d) la durée de l’obligation est limitée à un an à compter de l’expiration de l’accord’» ; qu’en l’espèce, la clause interdit l’exercice d’une activité affiliée dans un rayon de 5 kilomètres et n’est pas limitée aux locaux et aux terrains où le franchisé exerçait son activité au sein du réseau CARREFOUR ; que la clause n’est donc pas couverte par le règlement d’exemption ;

Considérant, enfin, que l’interdiction portant sur les MDD prive l’ancien franchisé de la possibilité de s’approvisionner en produits attractifs sur lesquels s’opèrent les plus grosses marges, ce qui explique la part croissante des MDD dans l’assortiment du commerce de proximité ; que le positionnement concurrentiel du fond de commerce nécessite en effet de pouvoir vendre un assortiment de produits, dont 50 à 70 % de marques nationales, 20 à 30 % de MDD et 10 % de premiers prix ; que les MDD seraient environ 15 % moins chères et permettraient, grâce aux marges réalisées sur elles, de baisser les prix sur les marques nationales ; que la part des MDD dans le chiffre d’affaires des magasins affiliés à des réseaux avoisinait déjà les 30 % en 1995 ;

Considérant, en définitive, que par son étendue et la généralité de ses termes, cette clause interdit en fait tout exercice par l’ex franchisé d’un commerce analogue à celui qu’il exerçait en qualité de franchisé, pendant un an, dans toute la zone concernée, dans des conditions économiquement acceptables ; qu’elle a donc des effets restrictifs de concurrence comparables à ceux d’une clause de non concurrence ;

Considérant qu’eu égard à ce qui précède, cette clause, dont l’objet et la potentialité d’effets sont anticoncurrentiels, est contraire à l’article L. 420-1 du Code de commerce et est nulle et inopposable à la société DIAPAR, en vertu de l’article L.420-3 du même Code, aux termes duquel «’Est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à une pratique prohibée par les articles L.420-1, L.420-2 et L. 420-5 » ; qu’aucune tierce complicité ne peut donc lui être imputée ;

Sur le cumul des clauses susceptible de constituer une pratique anticoncurrentielle

Considérant que la société DIAPAR fait valoir que l’action concertée des intimées, par les obligations imposées contractuellement au franchisé, aboutit à la mise en place de pratiques anticoncurrentielles dans le but d’empêcher toute mobilité des commerçants indépendants au sein des réseaux de distribution et, ainsi, d’éliminer toute concurrence ; que la durée et l’échéance distinctes des contrats de franchise et d’approvisionnement, pourtant intimement liés, rendent impossible leur résiliation concomitante ; que l’imbrication des obligations entre elles restreint la liberté commerciale du franchisé et lui interdit en réalité tout approvisionnement extérieur et tout changement de réseau ;

Mais considérant que la Cour n’est saisie par l’effet dévolutif que des trois clauses examinées ci dessus et ne saurait se prononcer sur la pratique anticoncurrentielle dénoncée par la société DIAPAR ; que cette demande sera donc rejetée ;

Sur la demande de réformation de la sentence arbitrale concernant M. R.

Considérant que cette demande est irrecevable dans le cadre de la tierce opposition, «’le jugement primitif conserv ( ant) tous ses effets entre les parties, même sur les chefs annulés’», en vertu de l’article 591 du Code de procédure civile ;

Sur la demande indemnitaire de la société DIAPAR

Considérant que la société DIAPAR demande que les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) et CSF soient condamnées in solidum à lui verser la somme de 500.000€ au titre du préjudice subi du fait de leurs pratiques restrictives de concurrence ; qu’en effet, les clauses restrictives des contrats, l’attitude des deux sociétés intimées sur le terrain et les «’arbitrages à répétition’» lui ont fait perdre les ventes qu’elle aurait pu réaliser avec M. R. ; qu’elle verse aux débats un tableau dressé par elle, corroboré par les grands livres fournisseurs de M. R., cités par les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE et CSF dans leurs écritures, retraçant les chiffres d’affaires réalisés avec celui ci pendant quatre ans ; qu’une marge de 18 % s’ avère, selon CARREFOUR PROXIMITE FRANCE, l’usage courant de la profession ; que par ailleurs, il n’est pas établi que les relations de DIAPAR avec M. R. auraient perduré ; que le préjudice sera donc évalué à la perte de la marge de DIAPAR sur une année ; que sur la base de la moyenne annuelle des chiffres d’approvisionnement de M. R. auprès de DIAPAR de juin 2002 à juin 2005, soit 1 389 881 euros, et d’une marge moyenne de 18 %, il convient de lui octroyer la somme de 250 178 euros à titre de dommages intérêts ;

Sur la demande de la société DIAPAR pour procédure abusive

Considérant que la société DIAPAR ne démontre pas en quoi l’usage des voies de droit serait constitutif d’un abus de la part des sociétés PRODIM et CSF ; que sa demande sera donc rejetée ;

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a déclaré recevable la tierce opposition incidente de la société DIAPAR,

DIT que la société DIAPAR n’est pas tierce complice des clauses de non adhésion et d’approvisionnement prioritaire, clauses qui ne définissent aucune obligation claire et se prêtent à une application anticoncurrentielle,

DIT que la clause de non réaffiliation post contractuelle constitue une entente contraire à l’article L. 420-1 du Code de commerce,

LA DÉCLARE nulle et inopposable à la société DIAPAR,

DÉBOUTE, en conséquence les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) et CSF de toutes leurs demandes indemnitaires,

CONDAMNE les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) et CSF, in solidum, à payer à la société DIAPAR la somme de 250 178 euros, à titre de dommages intérêts,

DÉBOUTE la société DIAPAR et M. R. du surplus de leurs demandes,

CONDAMNE les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) et CSF, in solidum, aux dépens de première instance et d’appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile,

CONDAMNE les sociétés CARREFOUR PROXIMITE FRANCE (PRODIM) et CSF, in solidum, à payer à la société DIAPAR la somme de 40 000 euros au titre de l’article 700 du Code procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

Composition de la juridiction : Madame COCCHIELLO, SCP BROUARD, SELARL GUIZARD et Associés, Michel GUIZARD, Gruau, Baron Cossé, Me Luca DE MARIA, SELARL SELARL PELLERIN

Décision attaquée : T. com. Evry, Paris 8 décembre 2010