Encombrement des tribunaux et déni de justice

Les juges du fond sont débordés et les tribunaux encombrés : on connaît la musique. Le déni de justice est une abdication trop grave. A partir d’un arrêt récent : Cass. Civ. 1, 24 février 2016 : n° 15-10639

Est-ce une raison pour qu’ils refusent de travailler ?

Mettons-nous à leur place : la tentation est grande. N’empêche : il faut la refouler. L’un des premiers articles du Code civil fulmine le déni de justice dans des termes solennels extrêmement forts : « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». Au reste, il s’agit là d’un délit pénal. Voyez l’article 434-7-1 du Code pénal : « le fait, par un magistrat, toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle ou toute autorité administrative, de dénier de rendre la justice après en avoir été requis et de persévérer dans son déni après avertissement ou injonction de ses supérieurs est puni de 7 500 euros d’amende et de l’interdiction de l’exercice des fonctions publiques pour une durée de cinq à vingt ans ».

Evidemment, il est rare qu’un juge refuse positivement d’exercer son office. Mais la faute n’est-elle pas encore plus contestable lorsqu’elle est insidieuse ? De nombreux arrêts récents conduisent à se poser la question.

Les apports de l’arrêt du 24 février 2016

N’en prenons qu’un. Il servira de point de départ à la réflexion. Daté du 24 février dernier, il émane de la première chambre civile de la Cour de cassation. En résumé, l’affaire concernait un franchisé qui sollicitait du juge français la nullité de son contrat de franchise pour absence de cause et dol. En guise de moyen de défense, le franchiseur lui opposait une clause du contrat qui attribuait compétence aux juridictions de Barcelone. Le franchiseur voulait-il gagner du temps ? Préférait-il que le litige soit jugé par un tribunal plus proche de ses intérêts ? On ne sait pas. Toujours est-il qu’il invoquait le bénéfice de cette clause. Celle-ci ne visait pourtant que l’interprétation et/ou l’exécution du contrat. Pas sa validité donc ! Et pourtant la Cour de cassation censure les juges qui avaient considéré qu’une telle clause ne devait pas s’appliquer.

Lisez son principal attendu : « en statuant ainsi, alors que la clause confie en termes très généraux aux tribunaux de Barcelone tout litige découlant de l’interprétation et/ou de l’exécution du contrat, sans distinguer selon l’objet de la demande, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Au delà de la clause attributive de compétence…

On n’en croit pas ses yeux. La clause était expressément limitée aux litiges relatifs à l’interprétation ainsi qu’à l’exécution du contrat ? Peu importe, répond la haute juridiction : elle ne distingue pas selon l’objet de la demande. Sans même insister sur le fait qu’en principe, la Cour de cassation étant juge du droit, n’a pas à se prononcer sur l’interprétation d’une clause, il est tout de même piquant de constater que les plus hauts magistrats de l’ordre judiciaire disent ici d’une clause l’inverse de ce qu’elle dit ! D’où la question : pourquoi ? Aucune raison grammaticale ne peut être sérieusement avancée. Vainement chercherait-on une autre règle technique susceptible de venir au secours d’une telle interprétation. Ne reste donc plus qu’une explication. Elle est d’ordre politique : il fallait donner effet à cette clause dans la mesure où son application expatriait le litige à Barcelone, libérant ainsi le rôle de nos pauvres juridictions françaises.

Cela n’est pas dit bien entendu. Comment avouer ce genre de considérations ? Elle est cependant d’autant plus plausible que la Cour de cassation, toujours elle, manifeste un extrême libéralisme à l’égard des clauses d’arbitrage, trop contente là encore de désengorger les juridictions étatiques. C’est une autre question, dira-t-on. C’est en tout cas le même combat. Il faut lutter pour que les franchisés et autres justiciables aient accès à un tribunal dans des conditions normales et réalistes. Toute solution qui compromet ce droit fondamental contribue à façonner une nouvelle espèce de déni de justice.

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L’erreur sur la rentabilité justifie la nullité d’un contrat de franchise !

La jurisprudence prononce la nullité d’un contrat de franchise n’ayant été conclu que sur la base de prévisionnels exagérément optimistes.

Nullité d’un contrat de franchise pour vice du consentement: JUGEMENT TC MEAUX 08 03 16

Rappel sur la nullité du contrat de franchise sur le fondement du dol en cas de prévisionnels exagérément optimisites

De longue date, la jurisprudence prononce la nullité d’un contrat de franchise n’ayant été conclu que sur la base de prévisionnels exagérément optimistes remis aux candidats à la franchise pour emporter leur consentement (V. encore récemment CA Paris, 10 sept. 2014). La Cour d’appel de Montpellier le rappelle fort bien dans un arrêt rendu le 21 octobre 2014 : si la loi ne met pas à la charge du franchiseur l’obligation de fournir une étude du marché local au candidat franchisé, auquel il incombe de s’informer sur les potentialités économiques du fonds, il est de principe que lorsque le franchiseur donne une telle information et communique des comptes prévisionnels laissant entrevoir la perspective d’un chiffre d’affaires, il est tenu de se livrer à une étude sérieuse et réaliste du marché local et de justifier les chiffres annoncés à partir d’éléments objectifs tirés de cette étude.

La jurisprudence récente

Récemment, la Cour de cassation a d’ailleurs fermement précisé qu’en cas d’écart substantiel entre les prévisionnels et les chiffres réalisés, le franchisé était bien fondé à demander l’annulation du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité de l’activité entreprise (Cass. com., 4 oct. 2011). Cette jurisprudence a été maintes fois confirmée depuis lors par la haute juridiction, les perspectives de rentabilité représentant une donnée déterminante d’un contrat de franchise ou plus généralement de distribution (Cass. Com., 31 janv. 2012.- Cass Com., 12 juin 2012.- Cass Com., 25 juin 2013.- Cass Com., 17 mars 2015).

De nombreux défenseurs de franchiseurs se sont offusqués d’une telle solution. Une erreur sur la rentabilité ? Mais le concept serait trop flou ! Il y aurait là une atteinte intolérable à la sécurité juridique !

Les juges du fond ne cèdent pourtant pas à ce vain catastrophisme. A preuve, cette décision rendue le 8 mars dernier par le Tribunal de commerce de Meaux. Ce jugement est intéressant : il rappelle bien la manière dont une telle erreur peut être caractérisée et partant, sanctionnée.

L’apport de la décision du Tribunal de Commerce de Meaux

Les faits de l’espèce

En l’espèce, le franchiseur de chocolats DE NEUVILLE avait remis au candidat, par l’intermédiaire d’une autre société, un compte prévisionnel stipulant des chiffres respectivement de 240 000 euros pour l’année 2011/2012 ; de 256 800 euros pour l’année 2012/2013 et de 274 776 euros pour l’année 2013/2014. Il indiquait au surplus que la moyenne réalisée par les magasins du réseau tournait autour de 220 000 euros annuel.

Cependant, il était établi qu’à l’époque, seuls 20 % des franchisés atteignaient ces prévisionnels. Et puis les résultats de l’exploitation du franchisé ayant conclu le contrat sur la foi de ces prévisionnels s’étaient très rapidement révélés inférieurs aux dites prévisions. Il enregistrait environ 60 % de celles-ci. Par ailleurs, les charges prévisionnelles avaient été sous-évaluées. C’était plus qu’il n’en fallait pour considérer que l’information transmise par le franchiseur manquait de sérieux. Etant précisé que le franchiseur n’avait pas non plus renseigné son interlocuteur sur l’état réel de la concurrence. Annulation du contrat de franchise donc.

La position du tribunal de Meaux

Le jugement insiste au surplus, et la circonstance vaut d’être notée, sur l’expérience du franchiseur. Il n’était pas un profane ; sa notoriété était acquise. De telle sorte que le candidat à la franchise pouvait lui faire confiance. En réalité, n’est-ce pas toujours le cas ? Par définition, le franchiseur entend réitérer une réussite et un savoir-faire. Tel est l’objet du contrat. Que le franchisé lui fasse confiance, c’est également une donnée essentielle de ce partenariat.

Enfin, le tribunal, dans un jugement décidément fort bien motivé, rappelle l’essence même de la franchise : si le franchisé paie un droit d’entrée élevé, verse des redevances, et « s’enferme dans des contraintes juridiques », « c’est avant tout parce qu’il attend du franchiseur une rentabilité lui permettant de couvrir a minima ses charges d’exploitation et même supérieure à celle qu’il obtiendrait en exploitant son commerce seul, sans l’aide d’un franchiseur professionnel connu et reconnu en la matière ».

Quelle belle définition de la franchise ! Elle insiste moins sur le savoir-faire, dont on sait qu’il est aujourd’hui souvent incantatoire, que sur la rentabilité attendue d’un contrat de franchise. Et de fait, voilà l’économie du contrat de franchise. Le franchisé s’engage pour faire des affaires. Les juges ne doivent pas l’oublier. Et de ce point de vue, le jugement rendu par le tribunal de commerce de Meaux est une magnifique leçon de droit et d’économie.

Pas de demi-mesure pour les clauses de non-concurrence !

A propos de Cass. Com., 30 mars 2016 : n° 14-23.261

Dit comme ça, la solution paraît évidente. Dès lors qu’une clause est nulle, personne ne peut raisonnablement en demander l’application.

Et pourtant, il est des évidences dont on se félicite que la Cour de cassation les rappelle fermement. Ainsi la décision qu’elle a rendue le 30 mars 2016 ne doit-elle pas passer inaperçue.

Les faits soumis à la Cour

Le litige était très classique et portait sur le respect d’une clause de non-concurrence post-contractuelle par un franchisé.  après rupture de son contrat, un franchisé du secteur de la location automobile était inquiété par son franchiseur qui lui reprochait de poursuivre son activité.

Violation de la clause de non-concurrence, arguait-il ! Problème : la clause était manifestement excessive : le franchiseur se prévalait certes d’un savoir-faire à protéger, d’une atteinte à l’identité et à la réputation de son réseau ainsi que d’un risque de détournement de clientèle… Arguments aussi rituels qu’incantatoires ! La clause interdisait à l’ancien franchisé d’exploiter son activité économique dans six départements. La cour d’appel en avait déduit son caractère disproportionné et l’avait donc tout bonnement annulée.

Pourvoi du franchiseur. Sa thèse était assez originale. Le franchiseur reconnaissant que la clause était illicite au regard de la jurisprudence antérieure (insuffisante limitation dans le temps, dans l’espace etc.). La clause était donc susceptible de porter une atteinte disproportionnée à la liberté du commerce du franchisé. Pourtant, soutenait le franchiseur, la clause devrait être appliquée malgré tout lorsque, dans la mesure de sa licéité, il est certain que son débiteur l’a violée. Ainsi en est-il si le franchisé a poursuivi la même activité à partir du même local.

La sanction de la nullité de la clause

Or en l’espèce, poursuivait-il, le franchisé s’était rétabli dans les locaux mêmes où il exerçait sa précédente activité.

Dès lors, en déboutant le franchiseur, la Cour d’Appel n’aurait pas légalement justifié sa décision. Ainsi le franchiseur estimait que son action en responsabilité était justifiée puisque le franchisé avait poursuivi la même activité dans le même local.

L’argument est néanmoins balayé. Et il est vrai qu’à bien y réfléchir, sa formulation était assez paradoxale, illogique : comment les juges pouvaient-ils appliquer une clause tenue pour illicite ? N’était-ce pas leur demander l’impossible ?

Les conséquences de l’illicéité d’une clause de non-concurrence

Une solution rigoureuse

Dès lors qu’un juge est appelé à se prononcer sur la validité d’une clause, l’alternative semble bien fermée : ou bien la clause est valable, ou bien elle est nulle. Dans le premier cas, il faut l’appliquer ; dans le second, la supprimer.

Aussi la Cour de cassation rejette-t-elle fort logiquement ce pourvoi : « ayant retenu que la clause de non-concurrence était illicite en raison de son caractère disproportionné, la cour d’appel n’était pas tenue d’effectuer la recherche invoquée à la première branche ».

La réponse est claire. Elle est en outre juste. Posez la solution inverse, quelles seraient les conséquences ? Cela n’est pas difficile à deviner : les franchiseurs n’auraient pas hésité à stipuler des clauses de non-concurrence particulièrement étendues et dissuasives, en se disant qu’après tout, il serait toujours temps de plaider que le franchisé l’a violée dans la mesure où elle aurait été déclarée valable.

Une rigueur justifiée

Certains diront peut-être qu’une clause de non-concurrence excessive pourrait être réduite. La clause était stipulée pour deux ans ? Ramenons-la à une année, voire six mois. Mais quel serait le fondement d’un tel pouvoir de réfaction reconnu au juge ? On peinerait à le trouver. Il serait d’ailleurs piquant de constater que ceux qui promeuvent la validité des clauses de non-concurrence au nom de la liberté contractuelle en seraient ainsi condamnés à en appeler au juge pour parfaire leur accord…

Si toutes les clauses excessives pouvaient être taillées par le juge à mesure des besoins prétendus d’un franchiseur, ces clauses de non-concurrence seraient toujours valables.  Le franchiseur ne prendrait donc aucun risque en rédigeant des clauses à large portée. Il suffirait de soutenir le cas échéant que son champ d’application peut être réduit.

De ce point de vue, la solution de la Cour de cassation suscite la pleine approbation.

Sus aux clauses d’arbitrage !

Sur le danger des clauses d’arbitrage…

La clause d’arbitrage est celle par laquelle les parties à un contrat décident de confier le règlement de leurs éventuels futurs différends à un tribunal composé de juges privés, désignés par les parties. Elle peut renvoyer au règlement de quelque association ou de quelque chambre de commerce et d’industrie : l’arbitrage est « institutionnel ». Le plus souvent, les parties prévoient cependant elles-mêmes la mise en place et le fonctionnement de cette juridiction spéciale : nomination et pouvoirs des arbitres, procédure à suivre, délais à respecter, possibilité ou non d’un appel. L’arbitrage, alors « ad hoc », est comme à la carte.

En toute hypothèse, les parties se mettent ainsi d’accord pour soustraire leur litige à la compétence des juges étatiques. Cela peut être pour de multiples raisons : gain de temps, compétence des juges, confidentialité. Voilà pour les motifs officiels. Officieusement, il peut toutefois également s’agir pour la partie forte d’imposer une justice qui, en dépit de ses avantages affichés, présente un inconvénient de taille : son prix. Tout dépend, bien sûr, des modalités retenues dans le contrat. Mais il en coûtera au bas mot plusieurs milliers d’euros. Ajoutés aux frais d’avocat, le prix s’avèrera fréquemment dissuasif. De sorte que le franchisé ou le concessionnaire ayant quelque grief à faire valoir y réfléchira à deux fois et, souvent, ne pourra tout bonnement se payer le luxe d’une procédure. Le franchiseur ou le concédant se trouvera ainsi immunisé.

Le laxisme de la jurisprudence

On aurait pu espérer que les tribunaux s’emploient à endiguer ce risque d’abus. Hélas, ils sont généralement trop heureux de se décharger, à bon compte si l’on peut dire. Aussi manifestent-ils une complaisance assez lâche à l’égard de ces clauses. Le code de procédure civile leur donne pourtant des outils. Supposez que le franchisé ou le concessionnaire saisisse le tribunal de commerce en dépit de la clause. Le défendeur, franchiseur ou concédant, soulèvera logiquement une exception d’incompétence au profit du tribunal arbitral. En théorie, le tribunal peut néanmoins balayer cette argutie au motif que la clause est manifestement soit nulle, soit inapplicable. En pratique, il ne le fait que très rarement. Pourquoi ? Les raisons sont avant tout politiques.

Par faveur pour l’arbitrage, la jurisprudence se fait une conception excessivement étroite des clauses manifestement nulles ou inapplicables. La cause de nullité ou d’inapplicabilité doit sauter aux yeux, estiment-ils ! Ainsi lorsque la clause n’a pas été signée par les parties. Ou lorsqu’elle limitait son champ d’application à tel ou tel contentieux dont il n’est pas question au cas particulier.

Les dénis de justice qui en découlent

Cette jurisprudence est proprement choquante. Elle frise le déni de justice (voir notre article ci-contre). Dans certains cas, il est en effet manifeste que la clause d’arbitrage est l’instrument d’une injustice criante. De manière générale, elle représente déjà une atteinte au droit fondamental d’ester en justice. Et pour cause : ce droit, garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, n’est-il pas singulièrement écorné dès lors que l’accès à un juge s’avère payant ? Les tribunaux devraient ainsi contrôler la proportionnalité de cette atteinte par rapport aux avantages attendus de la clause. Or ceux-ci sont bien souvent purement incantatoires.

L’arbitrage est rapide ? Pas du tout ! Le Code de procédure civile connaît certaines règles permettant à un juge étatique de statuer de manière tout aussi efficace. L’arbitrage est secret ? Et alors ? Un franchiseur honnête n’a rien à cacher ! Vainement invoquerait-il la nécessité de protéger la spécificité de son savoir-faire ! Outre qu’une telle spécificité est aujourd’hui fréquemment discutable, elle n’est jamais étalée dans des décisions rendues par des juges étatiques ! Enfin, rien à dire sur la prétendue compétence des juges arbitraux. Certains le sont davantage que des juges étatiques, d’autres moins. En fait d’intelligence, il n’y a lieu de poser aucune présomption.

Au demeurant, plusieurs arguments devraient être de nature à écarter les clauses d’arbitrage ayant sinon pour objet, du moins pour effet d’empêcher une personne d’agir en justice. Deux exemples l’illustreront sans peine.

Premier exemple :

Imaginez celui qui s’est engagé dans les liens d’un contrat de franchise et qui, pour une raison indépendante de sa volonté, ne trouve pas de financement. Ou pas de local. Il a versé un droit d’entrée, parfois substantiel, alors que, concrètement, il n’entrera jamais dans le réseau. La somme versée n’a donc aucune contrepartie. Il doit pouvoir la récupérer. Dira-t-on à cette personne qu’il ne peut s’adresser aux tribunaux étatiques si le contrat stipule une clause d’arbitrage ? En clair, contraindra-t-on cette personne à débourser 10, 20 ou 30 000 euros de frais d’arbitrage afin de récupérer 10, 20 ou 30 000 euros de droit d’entrée indument conservés ?

Cela passe l’entendement ! La clause d’arbitrage, dispose l’article 2061 du Code civil, est valable entre professionnels. Et le franchiseur tiendra donc à peu près ce langage : en signant votre contrat de franchise, vous avez réalisé le premier acte d’entrée dans une vie « professionnelle ». Vous ne pouvez donc prétendre que la clause est inapplicable. Byzantinisme ! Argutie ! Un peu plus de réalisme s’impose : dès lors qu’il n’y a pas eu entrée dans le réseau, le franchisé ressemble davantage à un consommateur floué. Il n’a précisément pas pu s’adonner à l’activité professionnelle convoitée. Inapplication de la clause donc. Et manifeste !

Second exemple :

Prenez cette fois le franchisé exsangue qui, totalement berné par des informations précontractuelles exagérément optimistes ou par les mensonges de son franchiseur, entend obtenir l’annulation de son contrat. Mais par définition, ce franchisé, qui a lourdement investi, ne peut se payer un arbitrage. Laissera-t-on sa cause sans suite ? Lui rétorquera-t-on qu’après tout, il n’avait qu’à pas signé la clause ? Formalisme ! Déloyauté ! La clause d’arbitrage devrait là encore être paralysée. Au nom de la bonne foi, dont l’article 1134 alinéa 3 du Code civil exige le respect lors de l’exécution du contrat. Ou bien par d’autres voies.

Les pistes de réforme

A cet égard, l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations en ouvre peut-être une nouvelle.  Consacrant et élargissant une jurisprudence bien connue en matière de clause limitative de responsabilité (Cass. Com., 29 juin 2010), le futur article 1170 du Code civil disposera en effet, à compter du 1er octobre 2016, que « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ». Or cet article a vocation à s’appliquer à la clause d’arbitrage. Après tout, la clause d’arbitrage prive ici de leur substance toutes les obligations essentielles du franchiseur. De fait, celui-ci se trouve comme dispensé d’avoir à répondre de ses manquements ! La composante la plus essentielle de toute obligation réside d’ailleurs dans la faculté d’en obtenir la sanction.

Peu importent les moyens au fond : les juges, lorsqu’ils prennent conscience d’une injustice, trouvent toujours de quoi habiller leurs décisions. Qu’ils en prennent conscience donc !

 

Réforme du droit des contrats : quels enjeux pour le commerce associé ?

Comment réformer le droit des contrats, inchangé, au moins dans sa lettre, depuis le Code civil de 1804?

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 La loi du 16 février 2015, dite de « modernisation et de simplification du droit et des procèdes dans les domaines de la justice et des affaires intérieures », donne enfin le feu vert au gouvernement afin de réformer le droit des contrats, inchangé, au moins dans sa lettre, depuis le Code civil de 1804.

Dix ans qu’on l’attendait ! Au moins deux lustres ! Et voilà qu’elle est désormais dans les tuyaux, cette fameuse réforme du droit des contrats. Et le gouvernement a un an pour la consacrer (Loi n° 2015-177, art. 7, I, 3°). Avant un an, la France vivra sous l’empire d’un nouveau droit des contrats. Les acteurs du monde de la franchise ont tout intérêt à en suivre la gestation. De nombreuses dispositions sont en effet susceptibles de changer la donne. La plupart se bornent certes à consolider l’état du droit existant. Certaines s’avèrent néanmoins beaucoup plus novatrices. En l’état, le projet d’ordonnance ne  prévoit donc pas seulement d’utiles renforcements (I) ; il véhicule également de grands bouleversements (II).

I – Les renforcements d’abord.

Bien sûr, pas question de reprendre ici l’intégralité du texte. Qu’il suffise d’envisager les règles qui, quoique encore parfois contestées, participent d’une saine protection des franchisés.

Les nouvelles dispositions préliminaires

Et peut-être le mieux consiste à suivre un ordre chronologique. Avec, en premier lieu, les dispositions préliminaires de ce nouveau droit des contrats, figurant aux articles 1101 et suivants du Code civil. Parmi ces dispositions, l’article 1102 mérite une attention particulière. Ce texte rappelle en effet que « la liberté contractuelle ne permet pas de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux reconnus dans un texte applicable aux relations entre personnes privées ». La disposition est opportune. Elle permet ainsi de lutter efficacement contre les clauses de non-concurrence, attentatoires au droit à l’emploi d’un ancien franchisé.

Une lutte d’autant plus légitime que le projet de loi Macron, actuellement en discussion, propose tout bonnement d’interdire les clauses restrictives de concurrence dans la plupart des réseaux de distribution commerciale.  Mais l’on pourrait aussi songer à mobiliser cet article 1102 afin de combattre les clauses réservant au franchiseur, à la fin du contrat, l’utilisation du fichier clients constitué par son ancien partenaire. A l’évidence, ces clauses consacrent en effet une atteinte intolérable au droit de propriété du franchisé sur son fonds de commerce.

Les conditions de validité des contrats

Les règles prévues au sujet des conditions de validité du contrat ne sont pas moins intéressantes.

Il convient de relever ici ce bel article 1129, aux termes duquel « celui des contractants qui connaît ou devrait connaître une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, ce dernier ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». Là encore, rien de neuf, dira-t-on. De fait, ce n’est rien d’autre que la consolidation d’une jurisprudence constante.

Ce rappel n’est toutefois pas dénué d’intérêt. Trop de juges continuent à penser que la fameuse loi « Doubin », codifiée à l’article L. 330-3 du Code de commerce, tient lieu d’alpha et d’oméga de l’information du candidat à la franchise. Et de rappeler que ce texte n’impose pas au franchiseur la remise de chiffres prévisionnels. Le raisonnement est obtus. Un texte spécial, censé protéger le candidat à l’intégration d’un réseau, peut-il décemment s’avérer plus strict que le droit commun ? Poser la question, c’est y répondre. Peut-être l’article 1129 précité relancera-t-il ainsi le débat.

Pour le reste, le commentateur relèvera encore l’article 1142, prévoyant qu’il y a violence « lorsqu’une partie abuse de l’état de nécessité ou de dépendance dans lequel se trouve l’autre partie pour obtenir un engagement que celle-ci n’aurait pas souscrit si elle ne s’était pas trouvée dans cette situation de faiblesse ». A l’heure actuelle, la jurisprudence est beaucoup trop stricte. Certes, elle admet depuis 2000 la violence économique. Mais de manière purement abstraite et théorique. Irréaliste, elle ne tient pas compte de la dépendance que subissent trop de franchisés, souvent poussés à transiger pour sauver le peu qu’il reste. Ce nouvel article pourrait inciter les tribunaux à davantage de souplesse. Ce serait un premier bouleversement…

II – Les bouleversements ensuite.

Ils ne sont pas nombreux. Mais ils ne sont pas négligeables, concernant surtout l’équilibre et les sanctions en droit des contrats.

La recherche d’un équilibre contractuel

Sur l’équilibre, l’article 1169 mérite évidemment la première place. Il érige en principe général qu’une clause créant « un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat peut être supprimée par le juge à la demande du contractant au détriment duquel elle est stipulée ». On dira que le bouleversement concerne peu les franchisés, dans la mesure où ceux-ci bénéficient déjà d’une règle identique à l’article L. 442-6, 5°, I, 2° du Code de commerce.

N’empêche : que le législateur en fasse un principe général, applicable à tous rapports entre particuliers, cela démontre un souci d’équilibre auquel les juges doivent se montrer eux-aussi sensibles. La Cour de cassation elle-même abonde en ce sens, ayant tout récemment condamné la centrale de référencement d’Auchan pour les déséquilibres qu’elle imposait à ses fournisseurs (Cass. Com., 3 mars 2015 : n° 13-27.525).

Au demeurant, d’autres articles témoignent de ce même souci (V. par ex., même s’il ne s’agit pas là d’un bouleversement, l’article 1193 : « en cas d’ambiguïté, les clauses d’un contrat d’adhésion s’interprètent à l’encontre de la partie qui les a proposées ». L’article 1196 consacre l’introduction de la théorie de l’imprévision : « Si un changement de circonstances imprévisibles lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent demander d’un commun accord au juge de procéder à l’adaptation du contrat. A défaut, une partie peut demander au juge d’y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ». A nouveau, le souci d’équilibre est manifeste.

Sur les sanctions

Sur les sanctions, enfin, le projet comporte également de sensibles modifications du droit actuel. Outre l’admission généralisée de la caducité (art. 1186), lorsque l’un des éléments constitutifs du contrat disparaît (le savoir-faire par exemple), outre la consécration de la résiliation unilatérale (art. 1226), il introduit une faculté que l’on pourrait appeler « de provocation ».

L’idée est simple :

« une partie peut demander par écrit à celle qui pourrait se prévaloir de la nullité soit de confirmer le contrat, soit d’agir en nullité dans un délai de six mois à peine de forclusion. Elle peut aussi proposer à la victime de l’erreur d’opter pour l’exécution du contrat dans les termes qu’elle avait compris lors de sa conclusion » (art. 1183).

Cela étant, cette faculté est encadrée : « La demande n’a d’effet que si la cause de la nullité a cessé et si elle mentionne en termes apparents qu’à défaut d’action en nullité exercée avant l’expiration du délai de six mois, le contrat sera réputé confirmé.»

Par ailleurs, le législateur étend la palette des sanctions contractuelles. L’article 1217 dispose ainsi que :

« la partie envers laquelle l’engagement n’a pas été exécuté, ou l’a été imparfaitement, peut : – suspendre l’exécution de sa propre obligation ;
 – poursuivre l’exécution forcée en nature de l’engagement ;  – solliciter une réduction du prix ;
 – provoquer la résolution du contrat ;
«– demander réparation des conséquences de l’inexécution ».

Etant précisé que les remèdes qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulés. Un franchisé pourra donc solliciter une baisse de redevances lorsque le montant de celles-ci ne se justifie pas au regard des services fournis, ou prétendument fournis par le franchiseur. Cela est heureux.

Renforcement des dispositions protectrices existantes, ajouts de nouveaux moyens : décidément, le projet de réforme du droit des contrats tant attendu vaut que l’on s’y intéresse. Il présente des apports novateurs et heureux pour les commerçants liés par des contrats d’intégration.

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La validité de la clause de préemption à l’épreuve du droit de la concurrence

La clause de préemption sous l’aspect droit de la concurrence : à propos de Cass. com., 4 novembre 2014, n° 12-25419

La décision n’est pas publiée au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation. Elle n’en présente pas moins une très grande importance théorique et pratique. Qu’on en juge :

Rappel des faits

Nous sommes dans le secteur de la distribution alimentaire.

Comme souvent, le contrat de franchise stipulait un droit de préemption au profit du franchiseur. A égalité de prix et de conditions, en cas, notamment, de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance sur le local d’exploitation. De même en cas de cession ou transfert des droits de propriété ou de jouissance ou de mise en location-gérance sur le fonds de commerce. La clause est quasiment de style. Elle permet au franchiseur de préserver son parc de magasins ; de contrôler le maillage territorial de son réseau.

L’arrêt rendu le 4 novembre dernier par la chambre commerciale de la Cour de cassation le rappelle pourtant très nettement que le contrat peut avoir des effets au delà des parties. La validité d’un droit de préférence contractuel ne peut pas s’apprécier qu’à l’aune de l’intérêt des contractants. L’intérêt du marché et celui des concurrents doivent également peser dans la balance…

En l’espèce, la clause de préemption était stipulée au profit de Carrefour. Après avoir résilié son contrat, le franchisé s’était rapproché d’une enseigne concurrente, Casino, concluant avec cette dernière un contrat de cession de son fonds sous la condition suspensive de la conclusion d’un contrat de gérance-mandat au profit de son gérant. Carrefour, évidemment, avait vu rouge. Craignant de perdre un emplacement, elle avait assigné son ancien partenaire afin qu’il lui soit interdit de céder son fonds à la société Casino et que la cession soit ordonnée à son profit. Et dans l’hypothèse où la cession litigieuse serait cependant intervenue au profit de la société Casino, elle sollicitait du juge une substitution de plein droit à cette société.

Le raisonnement de la Cour de cassation

La cour d’appel avait suivi Carrefour et prononcé la substitution. Elle donnait ainsi plein effet à la clause de préemption. Son arrêt est néanmoins sèchement cassé.

Visant les articles L.420-1 et L.420-3 du Code de commerce, la Cour de cassation commence par poser de manière extrêmement générale et abstraite que :

« est prohibée, et partant nulle, toute clause contractuelle ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, notamment lorsqu’elle tend à limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ».

Elle reproche ensuite à la cour d’appel de ne pas avoir vérifié les effets anticoncurrentiels de la clause de préemption litigieuse. Les magistrats du second degré s’étaient en effet bornés à relever qu’une clause de préemption ne peut être considérée comme une pratique anticoncurrentielle. En effet, seule la liberté de choisir son cocontractant est affectée par le pacte. Il n’oblige pas les parties à conclure le contrat pour lequel la préférence est donnée, le cédant n’étant pas obligé de céder son bien et le bénéficiaire n’étant pas obligé de l’acquérir. Ce faisant, ils n’avaient toutefois pas recherché :

« si la stipulation, dans les contrats de franchise consentis par la société Carrefour, d’un droit de préférence à son profit, valable pendant toute la durée du contrat et un an après son échéance, n’avait pas pour effet, en limitant la possibilité de rachat de magasins indépendants par des groupes de distribution concurrents, de restreindre artificiellement le jeu de la concurrence sur le marché du détail de la distribution à dominante alimentaire ».

Cassation donc. Pour manque de base légale.

La portée de l’arrêt

La portée de cet arrêt est sans doute circonscrite au domaine de la distribution alimentaire. De fait, la structure de ce secteur économique présente de grandes spécificités. Ces dernières sont bien mises en lumière par l’Autorité de la concurrence dans son célèbre avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010. Au demeurant, la formulation qu’adoptent ici les magistrats du Quai de l’horloge est très circonstanciée. La solution ne vaut manifestement que pour les clauses stipulées dans les contrats consentis par la société Carrefour. La Cour de cassation prend soin de relever que le droit de préférence valait non seulement pendant toute la durée du contrat, mais aussi un an après son échéance. Or il est effectivement très contestable qu’un franchiseur se réserve ainsi un droit de regard sur l’exploitation d’un ancien partenaire.

Il n’en demeure pas moins que l’arrêt du 4 novembre illustre fort bien l’influence que le droit de la concurrence exerce sur le droit commun des contrats. La célèbre affaire des cuves l’avait déjà illustré.  Une clause obligeant un pompiste de marque à restituer les cuves prêtées par une compagnie pétrolière n’encourt peut-être aucun grief au regard du droit des contrats. Elle n’en est pas moins nulle au regard du droit de la concurrence. Dans la mesure où la restitution en nature est particulièrement coûteuse, elle empêche le distributeur de s’affilier à un réseau concurrent à la fin de son contrat. Elle verrouille le marché en somme (Cass. com., 18 fév. 1992). C’est exactement la même logique que suit ici la Cour de cassation.