La franchise : le mot et la chose
(A propos de deux arrêts rendus le 18 janvier 2012 par la chambre sociale de la Cour de cassation, n° 10-16342 ; n° 10-23921)
C’est l’un des maîtres mots de la franchise : l’indépendance ! Parfois invoqué de manière incantatoire, celle-ci est censée innerver cette technique de distribution. Juridiquement indépendant, le franchisé serait à mille lieux du salarié. Qu’un contrat soit ostensiblement intitulé « franchise » n’empêche toutefois pas d’envisager l’application du droit du travail lorsque cette indépendance n’est plus qu’un vain mot…
Les deux arrêts rendus le 18 janvier 2012 par la chambre sociale de la Cour de cassation revêtent à cet égard une indéniable portée didactique. Rendus le même jour, ils rappellent les deux voies par lesquelles le droit du travail est susceptible de s’immiscer dans les rapports entre de prétendus franchiseurs d’une part et de prétendus franchisés d’autre part.
La première affaire concernait le réseau FIVENTIS, spécialisé dans la commercialisation des produits immobiliers, d’assurance-vie et d’épargne défiscalisée. L’examen des contrats litigieux avait toutefois révélé une série de clauses traduisant l’assujettissement du distributeur, lequel n’était en réalité qu’un simple agent d’exécution, ne disposant d’aucune autonomie. De telle sorte qu’en résiliant ledit contrat, la tête de réseau avait procédé à un licenciement ouvrant droit aux indemnités afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre les rappels de salaires et de congés payés, l’indemnité compensatrice de préavis et des congés payés ainsi que le remboursement du droit d’entrée et des redevances ayant été indûment perçues. Ici, un véritable lien de subordination avait permis à la cour d’appel de Rennes de caractériser un véritable contrat de travail. Ce qu’avalise la Cour de cassation dans des termes dénués d’ambiguïté pour rejeter le pourvoi formé par le soi-disant franchiseur : « Mais attendu que la cour d’appel a retenu que la société FIVENTIS avait, selon les stipulations du contrat de franchise, imposé à M. X… des obligations détaillées et applicables de bout en bout dans les relations avec les clients, renforcées ensuite par des instructions tout aussi détaillées, que, transformé en simple agent d’exécution, l’intéressé ne disposait d’aucune autonomie et qu’en résiliant le contrat, la société avait fait usage de son pouvoir de sanction ; qu’en l’état de ces constatations, elle a pu en déduire, sans être tenue de retenir que les sociétés JPB CONSEILS et JPB COURTAGE avaient un caractère fictif, que M. X… se trouvait dans un lien de subordination à l’égard de la société FIVENTIS, caractérisant un contrat de travail ».
La seconde affaire concernait cette fois le réseau YVES ROCHER. Et rappelle que l’application du droit du travail n’implique pas nécessairement qu’un lien de subordination, impliquant pouvoir de direction, de surveillance et de sanction, soit établi. Ce que rappelle ici fort clairement la Cour de cassation dans son principal attendu : « l’action tendant à faire reconnaître que les dispositions de l’article 7321-2 du code du travail sont applicables à un rapport contractuel n’exige pas que soit établie l’existence d’un lien de subordination ». Il convient en effet de rappeler qu’aux termes de ce l’article L7321-2, 2°, « est gérant de succursale toute personne dont la profession consiste essentiellement a) soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ; b) soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ».
Ces deux décisions ont le mérite de rappeler que l’indépendance du franchisé ne relève pas seulement d’un discours publicitaire tenu à l’attention des candidats à la franchise. Elle doit exister dans les faits ; au-delà des mots en somme.