Le préjudice… et au delà du préjudice.
Vers la consécration des dommages et intérêts punitifs
Le principe de la réparation intégrale du préjudice impose à celui qui a causé un préjudice de le réparer. En outre, la réparation ne peut pas aller au delà du préjudice, ce qui exclut en principe les dommages et intérêts punitifs.
C’est le principe de la réparation intégrale : rien que le préjudice, mais tout le préjudice. Sans doute ce principe est-il atténué en matière contractuelle : ici, lorsqu’une partie se plaint des manquements imputables à l’autre, seul le dommage prévisible est normalement réparable. Au demeurant, le contrat peut stipuler des clauses limitatives de responsabilité ou des clauses pénales qui contrarient le principe de la réparation intégrale. N’empêche : lorsque la violation du contrat est extrêmement grave, le juge ne peut en principe octroyer une indemnité plus grande que ce à quoi correspond le préjudice réellement subi par la victime. Or cela peut être fâcheux : une faute grave sera parfois peu sanctionnée.
Afin de lutter contre les comportements opportunistes, le législateur a toutefois décidé de prendre le problème à bras le corps. Et la mesure, générale, est de nature à intéresser le monde de la distribution. Jugez plutôt.
Les limites posées par l’avant projet de réforme du droit de la responsabilité civile
L’avant-projet de loi portant réforme de la responsabilité civile, rendu public le 29 avril dernier, prévoit l’insertion d’un nouvel article 1266 rédigé comme suit :
« Lorsque l’auteur du dommage a délibérément commis une faute lourde, notamment lorsque celle-ci a généré un gain ou une économie pour son auteur, le juge peut le condamner, par une décision spécialement motivée, au paiement d’une amende civile.
Cette amende est proportionnée à la gravité de la faute commise, aux facultés contributives de l’auteur ou aux profits qu’il en aura retirés.
L’amende ne peut être supérieure à 2 millions d’euros. Toutefois, elle peut atteindre le décuple du montant du profit ou de l’économie réalisés.
Si le responsable est une personne morale, l’amende peut être portée à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel la faute a été commise.
Cette amende est affectée au financement d’un fonds d’indemnisation en lien avec la nature du dommage subi ou, à défaut, au Trésor public ».
Certes, le texte a surtout été forgé pour les cas de responsabilité extracontractuelle. Il s’agit de sanctionner ce qu’on appelle les fautes lucratives. Comme par exemple lorsqu’un magazine de presse à scandales décide délibérément de violer le droit à la vie privée d’une personne connue en sachant que son éventuelle condamnation ne sera jamais à la hauteur du bénéfice des tirages.
Reste que cet article s’inscrit dans un chapitre général sur les « effets de la responsabilité » en général. Et qu’il a ainsi vocation à concerner aussi la responsabilité contractuelle. Où l’on en vient à la franchise.
Les retombées en droit de la distribution
Supposez un franchiseur qui, dans son Document d’Information Précontractuelle, omet délibérément certaines informations afin de séduire les candidats à l’intégration de son réseau. Si le manquement ou le mensonge ne sont pas jugés suffisamment déterminants, ils ne peuvent fonder la nullité du contrat. Il y a donc bien une faute, délibérée de surcroît, mais concrètement, cela n’y changera rien. Et le franchiseur pourra continuer ses pratiques en toute impunité. Le nouveau texte permettra de le faire condamner à une amende civile. Evidemment, le fruit de cette amende ne sera pas pour le franchisé dupé. N’empêche : la sanction peut s’avérer dissuasive.
Pensons à un autre exemple, tiré des pratiques du secteur de la distribution alimentaire. Trop souvent, malgré un célèbre avis de l’Autorité de la concurrence rendu le 7 décembre 2010, les têtes de réseau font signer à tel ou tel locataire-gérant et/ou franchisé une pile de contrats distincts : franchise, approvisionnement, contrat de fidélité, de location-gérance, contrat informatique etc. Personne n’est dupe : le but est d’embrouiller son cocontractant afin de dissuader ses velléités de chicane. Lorsqu’un conflit surgira et que le franchisé entendra saisir un juge, le franchiseur aura beau jeu de lui brandir telle ou telle clause de tel ou tel contrat afin de lui mettre des bâtons dans les roues. Dit autrement, cet empilement contractuel favorise les stratégies dilatoires. Il y a faute, c’est évident. Le préjudice, pourtant, semble trop évanescent. Alors ? Une amende civile ? Pourquoi pas !
Espérons que ce nouvel article 1266 du code civil, dont le potentiel est gigantesque, contribuera à policer les réseaux de distribution.