Loi Doubin : une justice à deux vitesses ?
La loi Doubin est censée être la même pour tout le monde (Trib. com. Paris, 5e chambre, 22 mars 2016).
Sans doute chaque affaire est-elle particulière. Sans doute aussi les juges ne doivent pas statuer par voie de disposition générale (C. civ., art. 5). Reste que la loi est censée être la même pour tout le monde. L’application que les juges font de la loi Doubin ne répond pas toujours à cette exigence.
En droit de la distribution comme ailleurs. Or il faut bien l’avouer : la plupart des décisions rendues ces dernières années au sujet de l’information précontractuelle qu’un franchiseur est tenu de remettre aux candidats à l’intégration de son réseau témoignent d’un éclatement brouillon qui apparente chaque procès à une espèce de loterie.
La réduction progressive de l’obligation d’information du franchiseur
A s’en tenir aux décisions les plus récentes, la Cour de cassation s’est ainsi arrogée le droit de distinguer là où la loi ne distingue pas. D’une salve d’arrêts rendus en janvier 2016, il résulte en effet clairement que le franchiseur est dispensé de remettre les informations prévues par les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, dès lors que le franchisé était déjà dans les affaires lors de la conclusion du contrat de franchise. Comme si ces professionnels avertis n’avaient guère besoin de tous les éléments que la loi Doubin tient pourtant comme indispensables à l’émission d’un consentement éclairé. De son côté, la cour d’appel de Paris a considéré qu’il importait peu que le franchiseur ne révèle pas au candidat qu’un précédent franchisé avait échoué dans la zone même qui faisait l’objet du contrat litigieux (CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 7 oct. 2015).
Heureusement, certains juges du fond s’avèrent plus réalistes et plus scrupuleux dans l’application de la loi Doubin. Ainsi le tribunal de commerce de Paris, dans ce jugement du 22 mars 2016, qui rappellera utilement aux juridictions dites supérieures les principes en matière d’information précontractuelle.
L’absence de remise du DIP entraîne la nullité du contrat
Au cas particulier, le tribunal prononce en effet l’annulation d’un contrat de franchise au motif que le franchiseur n’avait remis aucun document d’information précontractuel à son franchisé en violation de la loi Doubin. Vainement soutenait-il qu’un avenant faisait état de certaines des informations requises. Par définition, un avenant suppose en effet qu’un contrat ait été conclu. L’information précontractuelle, elle, suppose qu’aucun contrat ne l’a été ! Au demeurant, cet avenant ne fournissait pas l’intégralité des informations exigées par la loi. Pas davantage n’attirait-il l’attention du candidat sur les multiples échecs, liquidations judiciaires et autres, essuyés par de précédents franchisés. Manœuvre dolosive donc. Et le tribunal y insiste : en toute hypothèse, le DIP est « obligatoire au regard de la loi ». Merci ! Enfin une juridiction qui accepte de remplir l’office que lui assignait Montesquieu, à savoir tout bonnement appliquer la loi.
Peut-être faudrait-il reprendre à nouveaux frais la question de l’information précontractuelle du candidat à l’intégration d’un réseau de distribution. Bon nombre d’améliorations mériteraient d’être faites. Ainsi le candidat totalement profane, non averti, justifierait davantage de sollicitude. Le franchiseur pourrait notamment être tenu de lui remettre des comptes prévisionnels. En toute hypothèse, quel que soit le profil du candidat donc, la liste des informations que l’article R. 330-1 du Code de commerce égrène devrait aussi être étoffée. En toute transparence, le franchiseur devrait être tenu de donner les chiffres de ses unités pilote et des franchisés exploitant leur activité dans des conditions similaires à celles projetées par le candidat. De même devrait-il révéler toutes les cessations de contrat ayant précédé la conclusion du contrat envisagé, et pas seulement celles ayant eu lieu dans l’année. Pourquoi pas encore lui imposer de révéler les marges qu’il touche des fournisseurs référencés ?
Mais en attendant, que les tribunaux appliquent au moins la loi Doubin telle qu’elle est, non telle qu’il voudrait qu’elle fût !