L’impact du Covid sur les baux commerciaux
L’incidence du coronavirus sur les baux commerciaux : report ou suspension du loyer?
En ordonnant un confinement général afin de lutter contre la propagation du Covid-19, le gouvernement a fragilisé des milliers de commerçants. Afin de limiter l’effet économique désastreux du confinement, il a cependant prévu plusieurs mesures tendant à alléger leurs difficultés de trésorerie.
Parmi elles, le report des loyers commerciaux constitue revêt évidemment une importance déterminante. L’ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020 relative au paiement des loyers, des factures d’eau, de gaz et d’électricité afférents aux locaux professionnels des entreprises dont l’activité est affectée par la propagation de l’épidémie, est-elle toutefois susceptible de tout régler? Hélas…
Certains veulent ainsi aller plus loin. Plutôt que de report, ils plaident pour une dispense de loyer ! Ce n’est pourtant pas du tout la même chose : le report ne fait que décaler la dette, la dispense l’efface. En somme, ceux-là se font plus royalistes que le roi. Car notre Président n’avait guère annoncé qu’un report. Dans le même sens, la déléguée générale de la Fédération des sociétés immobilières et foncières, Madame Delphine Charles-Péronne, était également très claire : « Le recouvrement des loyers et charges des TPE et PME appartenant à l’un des secteurs dont l’activité est interrompue par l’arrêté du gouvernement, est suspendu à partir du 1er avril 2020, et jusqu’à ce que l’activité reprenne »…
Comment pourrait-on justifier la dispense de loyers?
La force majeure est bien sollicitée. Dans une récente tribune publiée dans La correspondance de l’enseigne, Me Jehan-Denis Barbier le soutient avec force : « Le confinement et la fermeture des boutiques placent les bailleurs et les locataires commerçants dans une situation de force majeure, empêchant l’exécution du contrat de bail. Le paiement des loyers doit être suspendu et le réexamen de la valeur locative doit être envisagée » (J.-D. Barbier, Le sort du loyer commercial face à la pandémie, 26 mars 2020, http://www.argusdelenseigne.com/). Et d’invoquer la règle traditionnelle selon laquelle « en cas d’impossibilité momentanée d’exécution d’une obligation, le débiteur n’est pas libéré, cette exécution étant seulement suspendue jusqu’au moment où l’impossibilité vient à cesser »(Civ. Cass. 1e civ. 24 février 1981, n° 79-12710.- v. aussi Cass. 3e civ. 22 février 2006, n° 05-12032, RDC 2006.1088).
Il n’y a toutefois force majeure que « lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » (C. civ., art. 1218). Trois critères sont ainsi traditionnellement exigés : l’évènement doit être extérieur, imprévisible et irrésistible, la situation ne pouvant être évitée par des mesures appropriées.
Une épidémie n’est pas toujours un cas de force majeure
D’une part, la jurisprudence existante en matière de maladies et d’épidémies (grippes H1N1, chikungunya, virus Ebola ou encore l’épidémie de Dengue) retient rarement le cas de force majeure. Le coronavirus revêt peut-être une dimension exceptionnelle mais il est tout de même assez hardi d’affirmer de manière péremptoire et catégorique que la force majeure se trouve ici incontestablement caractérisée. En 1914, lorsque la der des der a envoyé au front la plupart des travailleurs, seul un moratoire des loyers avait été initialement décidé… Il faut en outre bien le rappeler : la définition de la force majeure n’est pas d’ordre public, de sorte qu’elle dépend aussi des stipulations des contrats et que les parties ont très bien pu exclure les épidémies.
D’autre part, les mesures prises par le gouvernement sont-elles véritablement appropriées? Certains commencent à en contester la radicalité et les choses peuvent toujours se discuter.
Au reste, la question est moins juridique que politique : quels intérêts faut-il sacrifier? Ceux des commerçants ou ceux des propriétaires? Le travail ou le capital? Une autre voie pourrait également consister à distinguer les types de bailleurs. Après tout, la grosse foncière n’a pas grand-chose à voir avec le petit bailleur qui a investi dans un local commercial afin d’assurer la tranquillité de ses vieux jours. Les bailleurs institutionnels doivent-ils être logés à la même enseigne que les autres? Ne faut-il pas également avoir égard aux assurances prises ici ou là?
Donc non la question n’est pas si simple.
C’est aux pouvoirs publics d’arbitrer clairement entre les intérêts en présence.