L’annulation du contrat de location-gérance

En cas d’annulation du contrat de location-gérance, le locataire-gérant conserve les fruits de son travail.

Dans un arrêt en date du 3 décembre 2015, la Cour de cassation a estimé qu’en cas d’annulation rétroactive d’un contrat de location-gérance, le principe selon lequel les parties doivent être remises dans l’état qui était le leur avant la signature du contrat n’implique pas que le locataire gérant verse au propriétaire du fonds le profit tiré de son exploitation.

La nullité emporte en principe l’effacement rétroactif du contrat. Ce principe s’applique également aux contrats de location-gérance et a pour effet de remettre les parties dans la situation initiale. Un fonds de commerce de café bar restaurant a été donné en location gérance, le 30 juillet 2009 ; le locataire gérant a contesté la validité du congé délivré à effet du 31 août 2012 ; assigné en validation du congé et expulsion, il a reconventionnellement demandé l’annulation du contrat de location-gérance. L’arrêt retient qu’après annulation du contrat de location gérance, le locataire gérant doit restituer au bailleur le profit tiré de la location gérance, soit une indemnité d’exploitation et d’occupation correspondant au montant de la redevance. En statuant ainsi, alors que la remise des parties dans l’état antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété, la cour d’appel a violé l’article 1304 du Code civil.

« Attendu, selon l’arrêt attaqué (Nîmes, 17 avril 2014), que, le 30 juillet 2009, les consorts X… ont donné en location-gérance à Mme Y… un fonds de commerce de café bar restaurant ; que, Mme Y… ayant contesté la validité du congé qui lui a été délivré à effet du 31 août 2012, les consorts X… l’ont assignée en validation du congé et expulsion ; que Mme Y… a reconventionnellement demandé l’annulation du contrat de location gérance ;

Attendu que, pour condamner Mme Y… à payer à M. X… une certaine somme, l’arrêt retient qu’après annulation du contrat de location gérance, Mme Y… doit restituer à M. X… le profit tiré de la location gérance, soit une indemnité d’exploitation et d’occupation correspondant au montant de la redevance ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la remise des parties dans l’état antérieur à un contrat de location-gérance annulé exclut que le bailleur obtienne une indemnité correspondant au profit tiré par le locataire de l’exploitation du fonds de commerce dont il n’a pas la propriété, la cour d’appel a violé le texte susvisé. »

Nullité d’une clause d’indexation asymétrique

Dans un arrêt de principe du 14 janvier 2016, la Cour de cassation a estimé qu’une clause d’indexation d’un bail commercial excluant la réciprocité dans la variation et stipulant que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse est nulle.

La Cour a en premier lieu relevé que la clause d’indexation du bail commercial excluait tout ajustement du loyer à la baisse. Dans un second temps, la Cour de cassation a approuvé la Cour d’Appel de Paris qui a réputé cette clause non écrite et condamné le bailleur à restituer l’ensemble des sommes versées en application de cette clause.

La motivation l’arrêt de Cassation est riche d’enseignements :

« Mais attendu, d’une part, qu’est nulle une clause d’indexation qui exclut la réciprocité de la variation et stipule que le loyer ne peut être révisé qu’à la hausse ; qu’ayant relevé, par motifs adoptés, que la clause excluait, en cas de baisse de l’indice, l’ajustement du loyer prévu pour chaque période annuelle en fonction de la variation de l’indice publié dans le même temps, la cour d’appel, qui a exactement retenu que le propre d’une clause d’échelle mobile était de faire varier à la hausse et à la baisse et que la clause figurant au bail, écartant toute réciprocité de variation, faussait le jeu normal de l’indexation, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision« .

Cette solution ne peut qu’être approuvée. Une clause d’indexation contenue dans un bail commercial ne fonctionnant qu’à la hausse se heurte en effet tant au principe même de l’indexation, qui veut que le montant du loyer dépende de la conjoncture économique, qu’à l’article L.112-1 du Code monétaire et financier. Indirectement, une clause d’échelle mobile n’autorisant pas une diminution du loyer conduirait inévitablement, en cas de baisse de l’indice, à prendre « en compte une période de variation de l’indice supérieure à la durée s’écoulant entre chaque révision« , en violation de l’article L.112-1 précité.

Pour plus d’actualité sur les baux commerciaux, notamment l’impact du COVID sur les relations entre le bailleur et le preneur, nous recommandons la lecture de notre article Baux commerciaux et Covid

La loi El Khomri sous le feu des franchiseurs

Quelles seront les conséquences pour les réseaux de franchise de la loi El Khomri ?

L’article 29 bis A de la loi travail agite depuis quelques jours le monde de la franchise. Adopté par l’Assemblée via la procédure dérogatoire prévue à l’article 49 alinéa 3 du la Constitution, cet article très controversé prévoit la mise en place d’une instance de dialogue dans les réseaux de franchise atteignant plus de 50 salariés.

Le propre de la franchise étant l’indépendance de chaque unité, cette innovation inspirée du droit du travail paraît de prime abord surprenante. L’article 29 bis A remet en cause le principe fondateur de la franchise qu’est l’indépendance : le réseau est appréhendé comme une entité économique unique, à la tête de laquelle se trouve le franchiseur. Ce dernier aura en charge la mise en place d’une instance de dialogue composée d’un représentant du franchiseur, d’un représentant des franchisés et d’un nombre de représentants des salariés variant en fonction de la taille et de l’effectif total du réseau.

Du point de vue des franchiseurs :

La souplesse caractéristique de la franchise est battue en brèche. Certains vont même jusqu’à s’offusque de cette position de « co-employeur » qui ne serait que la première étape vers une responsabilité plus générale du franchiseur en cas de déconfiture des franchisés. A mon sens, un tel risque n’est pas avéré : le droit du travail est dérogatoire et a pour but de protéger les salariés. D’un point de vue juridique un glissement vers une responsabilité générale du franchiseur est peu probable dans la mesure où les règles du droit du travail sont très spécifiques et où les juges judiciaires continueront à appliquer sans sourciller le droit classique des contrats et de la responsabilité.

Du point de vue des franchisés :

L’instauration d’une instance de dialogue peut être bénéfique en permettant de centraliser les informations et en facilitant les échanges au sein du réseau. Il est fréquent que plusieurs franchisés soient confrontés aux mêmes difficultés donc un tel mécanisme centralisé pourrait réduire les coûts et créer des synergies au sein du réseau. Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que le franchisé est souvent un petit commerçant qui doit gérer au quotidien son point de vente et n’aura vraisemblablement ni le temps ni la surface financière pour se préoccuper d’une telle instance. En toute hypothèse, des précisions doivent être apportées sur le rôle, le financement et les pouvoirs de « l’instance de dialogue ». En l’état, la loi est lacunaire sur ces questions essentielles.

Du point de vue des salariés:

L’article 29 bis A est de toute évidence extrêmement protecteur. Cette disposition met notamment en place une obligation de reclassement, pesant à la fois sur le franchiseur et le franchisé, en cas de licenciement économique. Économiquement, dans un contexte de chômage élevé, il est pertinent de tenter de reclasser rapidement un salarié dans une entreprise au sein de laquelle il pourra être directement opérationnel. Or le propre de la franchise réside précisément dans la réitération d’un concept, d’un savoir-faire et par conséquent des méthodes de travail. A cet égard, l’obligation de reclassement au sein d’un réseau de franchise est une idée, certes subversive, mais potentiellement pertinente.

L’article 29 bis A tend donc à transposer au sein des réseaux de franchise un dispositif propre au droit du travail dans la perspective clairement affirmée de protéger les salariés. Certains arguments plaident en faveur d’une obligation de reclassement, notamment le fait que toutes les unités exploitent un même savoir-faire. Tout dépendra de la façon dont cette obligation sera mise en œuvre.

Le franchiseur est-il responsable du fait de son franchisé ?

Le principe : franchisé est franchiseur sont des commerçants juridiquement indépendants.

La franchise relie deux commerçants, franchiseur et franchisé, juridiquement indépendants.

De sorte que chacun est censé répondre de ses fautes, point. Au reste, la plupart des contrats stipulent expressément qu’en aucun cas les tiers ne pourront rechercher la responsabilité du franchisé du fait de ses errements. C’est toutefois un peu court.

D’abord, il est évident qu’en sa qualité de tête de réseau, un franchiseur est tenu d’en assurer la discipline. Que l’un des franchisés vienne à défaillir, l’image de tout le réseau en est affectée. Le franchiseur qui n’y mettrait pas bon ordre engagerait ainsi nécessairement sa responsabilité envers les autres franchisés.

Ensuite, même les tiers peuvent être tentés de rechercher la responsabilité du franchiseur.

Tel sera le cas, par exemple, si la franchise distribue des produits qui s’avèrent défectueux. Les articles 1386-1 et suivants du code civil ne peuvent être contournés par le franchiseur qui, s’il distribuait les dits produits aux franchisés pour que ceux-ci les revendent, peut naturellement être inquiété.

La responsabilité des commettants du fait de leurs préposés dans l’avant-projet de réforme du droit de la responsabilité civile

Mais l’avant-projet de réforme de la responsabilité civile ouvre de plus larges perspectives encore. Il reformule en effet le texte applicable à la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés dans des conditions telles que son champ d’application en ressort considérablement élargi. A l’heure actuelle, la notion de commettant est principalement associée à celle de patron, d’employeur. Avec cette idée simple que l’employeur répond des fautes de ses salariés dès lors que celles-ci ne participent pas d’un abus de fonction. Demain, si l’avant-projet de loi passe en l’état, cette notion sera cependant bien plus général. Qu’il suffise de lire l’article 1249 du code civil dans sa version envisagée :

« Le commettant est responsable de plein droit des dommages causés par son préposé. Est commettant celui qui a le pouvoir de donner des ordres ou des instructions en relation avec l’accomplissement des fonctions du préposé.

En cas de transfert du lien de préposition, cette responsabilité pèse sur le bénéficiaire du transfert ».

En voilà une définition ! Manifestement, elle correspond à la relation qu’entretiennent franchiseur et franchisés. Celui-là ne donne t-il pas à ceux-ci des « instructions en relation avec l’accomplissement » de leur fonction ?

Une responsabilité fondée sur un lien de dépendance économique

L’idée, au demeurant, n’est pas totalement nouvelle. Dès 2005, l’avant-projet de réforme du droit des obligations rédigé sous les auspices de Pierre Catala s’attaquait à cette question. L’avant projet proposait de consacrer expressément la responsabilité des franchiseurs du fait des franchisés. Cette responsabilité était justifiée par le lien de dépendance économique qui les relie. C’était l’article 1360 de ce corpus, dont le texte demeure fort intéressant :

« En l’absence de lien de préposition, celui qui encadre ou organise l’activité professionnelle d’une autre personne et en tire un avantage économique est responsable des dommages causés par celle-ci dans l’exercice de cette activité (…). De même, est responsable celui qui contrôle l’activité économique ou patrimoniale d’un professionnel en situation de dépendance, bien qu’agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable est en relation avec l’exercice du contrôle. Il en est ainsi notamment des sociétés mères pour les dommages causés par leurs filiales ou des concédants pour les dommages causés par leurs concessionnaires ».

Peut-être quelque fédération, association ou autre groupe de pression arrachera t-elle au gouvernement un nouveau texte qui atténue le risque que représente cet article 1249…

Il n’en contient pas moins une idée très juste : dès lors qu’un franchiseur contrôle étroitement les conditions d’exercice de l’activité de ses franchisés, il encourt une certaine responsabilité. Là où est le pouvoir, se trouve la responsabilité : l’adage est connu.

La responsabilité du franchiseur du fait de son franchisé

En toute hypothèse, la responsabilité du franchiseur du « fait » de ses franchisés ne se conçoit pas seulement pour faute. Imaginez un franchisé, exploitant son activité sous forme sociétaire, dont les affaires tournent mal. Sa chute précipite nécessairement la ruine de son dirigeant personne physique. Elle cause aussi des difficultés aux cocontractants de ce franchisé. Toutes ces victimes par ricochet ne peuvent-elles rechercher la responsabilité du franchiseur ? Imaginons par exemple que cet échec soit dû à un mauvais concept, de mauvais conseils, une mauvaise assistance ? Cela paraît normal. Dans toutes ces hypothèses, l’échec, « le fait » du franchisé n’est que la conséquence, voire la manifestation de la « faute » personnelle du franchiseur.

Certes, les franchiseurs aiment à jouer sur le registre de la responsabilité en rappelant que la franchise n’est pas l’assistanat. Soit. Mais qu’ils prennent également leur responsabilité et assument jusqu’au bout la logique de ce discours. Les franchisés ne doivent pas être des assistés, c’est entendu. Mais pas plus que les franchiseurs ne doivent être des rentiers.

 

Loi Doubin : une justice à deux vitesses ?

La loi Doubin est censée être la même pour tout le monde (Trib. com. Paris, 5e chambre, 22 mars 2016).

Sans doute chaque affaire est-elle particulière. Sans doute aussi les juges ne doivent pas statuer par voie de disposition générale (C. civ., art. 5). Reste que la loi est censée être la même pour tout le monde. L’application que les juges font de la loi Doubin ne répond pas toujours à cette exigence.

En droit de la distribution comme ailleurs. Or il faut bien l’avouer : la plupart des décisions rendues ces dernières années au sujet de l’information précontractuelle qu’un franchiseur est tenu de remettre aux candidats à l’intégration de son réseau témoignent d’un éclatement brouillon qui apparente chaque procès à une espèce de loterie.

La réduction progressive de l’obligation d’information du franchiseur

A s’en tenir aux décisions les plus récentes, la Cour de cassation s’est ainsi arrogée le droit de distinguer là où la loi ne distingue pas. D’une salve d’arrêts rendus en janvier 2016, il résulte en effet clairement que le franchiseur est dispensé de remettre les informations prévues par les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, dès lors que le franchisé était déjà dans les affaires lors de la conclusion du contrat de franchise. Comme si ces professionnels avertis n’avaient guère besoin de tous les éléments que la loi Doubin tient pourtant comme indispensables à l’émission d’un consentement éclairé. De son côté, la cour d’appel de Paris a considéré qu’il importait peu que le franchiseur ne révèle pas au candidat qu’un précédent franchisé avait échoué dans la zone même qui faisait l’objet du contrat litigieux (CA Paris, Pôle 5, ch. 4, 7 oct. 2015).

Heureusement, certains juges du fond s’avèrent plus réalistes et plus scrupuleux dans l’application de la loi Doubin. Ainsi le tribunal de commerce de Paris, dans ce jugement du 22 mars 2016, qui rappellera utilement aux juridictions dites supérieures les principes en matière d’information précontractuelle.

L’absence de remise du DIP entraîne la nullité du contrat

Au cas particulier, le tribunal prononce en effet l’annulation d’un contrat de franchise au motif que le franchiseur n’avait remis aucun document d’information précontractuel à son franchisé en violation de la loi Doubin. Vainement soutenait-il qu’un avenant faisait état de certaines des informations requises. Par définition, un avenant suppose en effet qu’un contrat ait été conclu. L’information précontractuelle, elle, suppose qu’aucun contrat ne l’a été ! Au demeurant, cet avenant ne fournissait pas l’intégralité des informations exigées par la loi. Pas davantage n’attirait-il l’attention du candidat sur les multiples échecs, liquidations judiciaires et autres, essuyés par de précédents franchisés. Manœuvre dolosive donc. Et le tribunal y insiste : en toute hypothèse, le DIP est « obligatoire au regard de la loi ». Merci ! Enfin une juridiction qui accepte de remplir l’office que lui assignait Montesquieu, à savoir tout bonnement appliquer la loi.

Peut-être faudrait-il reprendre à nouveaux frais la question de l’information précontractuelle du candidat à l’intégration d’un réseau de distribution. Bon nombre d’améliorations mériteraient d’être faites. Ainsi le candidat totalement profane, non averti, justifierait davantage de sollicitude. Le franchiseur pourrait notamment être tenu de lui remettre des comptes prévisionnels. En toute hypothèse, quel que soit le profil du candidat donc, la liste des informations que l’article R. 330-1 du Code de commerce égrène devrait aussi être étoffée. En toute transparence, le franchiseur devrait être tenu de donner les chiffres de ses unités pilote et des franchisés exploitant leur activité dans des conditions similaires à celles projetées par le candidat. De même devrait-il révéler toutes les cessations de contrat ayant précédé la conclusion du contrat envisagé, et pas seulement celles ayant eu lieu dans l’année. Pourquoi pas encore lui imposer de révéler les marges qu’il touche des fournisseurs référencés ?

Mais en attendant, que les tribunaux appliquent au moins la loi Doubin telle qu’elle est, non telle qu’il voudrait qu’elle fût !

Encombrement des tribunaux et déni de justice

Les juges du fond sont débordés et les tribunaux encombrés : on connaît la musique. Le déni de justice est une abdication trop grave. A partir d’un arrêt récent : Cass. Civ. 1, 24 février 2016 : n° 15-10639

Est-ce une raison pour qu’ils refusent de travailler ?

Mettons-nous à leur place : la tentation est grande. N’empêche : il faut la refouler. L’un des premiers articles du Code civil fulmine le déni de justice dans des termes solennels extrêmement forts : « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice ». Au reste, il s’agit là d’un délit pénal. Voyez l’article 434-7-1 du Code pénal : « le fait, par un magistrat, toute autre personne siégeant dans une formation juridictionnelle ou toute autorité administrative, de dénier de rendre la justice après en avoir été requis et de persévérer dans son déni après avertissement ou injonction de ses supérieurs est puni de 7 500 euros d’amende et de l’interdiction de l’exercice des fonctions publiques pour une durée de cinq à vingt ans ».

Evidemment, il est rare qu’un juge refuse positivement d’exercer son office. Mais la faute n’est-elle pas encore plus contestable lorsqu’elle est insidieuse ? De nombreux arrêts récents conduisent à se poser la question.

Les apports de l’arrêt du 24 février 2016

N’en prenons qu’un. Il servira de point de départ à la réflexion. Daté du 24 février dernier, il émane de la première chambre civile de la Cour de cassation. En résumé, l’affaire concernait un franchisé qui sollicitait du juge français la nullité de son contrat de franchise pour absence de cause et dol. En guise de moyen de défense, le franchiseur lui opposait une clause du contrat qui attribuait compétence aux juridictions de Barcelone. Le franchiseur voulait-il gagner du temps ? Préférait-il que le litige soit jugé par un tribunal plus proche de ses intérêts ? On ne sait pas. Toujours est-il qu’il invoquait le bénéfice de cette clause. Celle-ci ne visait pourtant que l’interprétation et/ou l’exécution du contrat. Pas sa validité donc ! Et pourtant la Cour de cassation censure les juges qui avaient considéré qu’une telle clause ne devait pas s’appliquer.

Lisez son principal attendu : « en statuant ainsi, alors que la clause confie en termes très généraux aux tribunaux de Barcelone tout litige découlant de l’interprétation et/ou de l’exécution du contrat, sans distinguer selon l’objet de la demande, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».

Au delà de la clause attributive de compétence…

On n’en croit pas ses yeux. La clause était expressément limitée aux litiges relatifs à l’interprétation ainsi qu’à l’exécution du contrat ? Peu importe, répond la haute juridiction : elle ne distingue pas selon l’objet de la demande. Sans même insister sur le fait qu’en principe, la Cour de cassation étant juge du droit, n’a pas à se prononcer sur l’interprétation d’une clause, il est tout de même piquant de constater que les plus hauts magistrats de l’ordre judiciaire disent ici d’une clause l’inverse de ce qu’elle dit ! D’où la question : pourquoi ? Aucune raison grammaticale ne peut être sérieusement avancée. Vainement chercherait-on une autre règle technique susceptible de venir au secours d’une telle interprétation. Ne reste donc plus qu’une explication. Elle est d’ordre politique : il fallait donner effet à cette clause dans la mesure où son application expatriait le litige à Barcelone, libérant ainsi le rôle de nos pauvres juridictions françaises.

Cela n’est pas dit bien entendu. Comment avouer ce genre de considérations ? Elle est cependant d’autant plus plausible que la Cour de cassation, toujours elle, manifeste un extrême libéralisme à l’égard des clauses d’arbitrage, trop contente là encore de désengorger les juridictions étatiques. C’est une autre question, dira-t-on. C’est en tout cas le même combat. Il faut lutter pour que les franchisés et autres justiciables aient accès à un tribunal dans des conditions normales et réalistes. Toute solution qui compromet ce droit fondamental contribue à façonner une nouvelle espèce de déni de justice.

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L’erreur sur la rentabilité justifie la nullité d’un contrat de franchise !

La jurisprudence prononce la nullité d’un contrat de franchise n’ayant été conclu que sur la base de prévisionnels exagérément optimistes.

Nullité d’un contrat de franchise pour vice du consentement: JUGEMENT TC MEAUX 08 03 16

Rappel sur la nullité du contrat de franchise sur le fondement du dol en cas de prévisionnels exagérément optimisites

De longue date, la jurisprudence prononce la nullité d’un contrat de franchise n’ayant été conclu que sur la base de prévisionnels exagérément optimistes remis aux candidats à la franchise pour emporter leur consentement (V. encore récemment CA Paris, 10 sept. 2014). La Cour d’appel de Montpellier le rappelle fort bien dans un arrêt rendu le 21 octobre 2014 : si la loi ne met pas à la charge du franchiseur l’obligation de fournir une étude du marché local au candidat franchisé, auquel il incombe de s’informer sur les potentialités économiques du fonds, il est de principe que lorsque le franchiseur donne une telle information et communique des comptes prévisionnels laissant entrevoir la perspective d’un chiffre d’affaires, il est tenu de se livrer à une étude sérieuse et réaliste du marché local et de justifier les chiffres annoncés à partir d’éléments objectifs tirés de cette étude.

La jurisprudence récente

Récemment, la Cour de cassation a d’ailleurs fermement précisé qu’en cas d’écart substantiel entre les prévisionnels et les chiffres réalisés, le franchisé était bien fondé à demander l’annulation du contrat de franchise pour erreur sur la rentabilité de l’activité entreprise (Cass. com., 4 oct. 2011). Cette jurisprudence a été maintes fois confirmée depuis lors par la haute juridiction, les perspectives de rentabilité représentant une donnée déterminante d’un contrat de franchise ou plus généralement de distribution (Cass. Com., 31 janv. 2012.- Cass Com., 12 juin 2012.- Cass Com., 25 juin 2013.- Cass Com., 17 mars 2015).

De nombreux défenseurs de franchiseurs se sont offusqués d’une telle solution. Une erreur sur la rentabilité ? Mais le concept serait trop flou ! Il y aurait là une atteinte intolérable à la sécurité juridique !

Les juges du fond ne cèdent pourtant pas à ce vain catastrophisme. A preuve, cette décision rendue le 8 mars dernier par le Tribunal de commerce de Meaux. Ce jugement est intéressant : il rappelle bien la manière dont une telle erreur peut être caractérisée et partant, sanctionnée.

L’apport de la décision du Tribunal de Commerce de Meaux

Les faits de l’espèce

En l’espèce, le franchiseur de chocolats DE NEUVILLE avait remis au candidat, par l’intermédiaire d’une autre société, un compte prévisionnel stipulant des chiffres respectivement de 240 000 euros pour l’année 2011/2012 ; de 256 800 euros pour l’année 2012/2013 et de 274 776 euros pour l’année 2013/2014. Il indiquait au surplus que la moyenne réalisée par les magasins du réseau tournait autour de 220 000 euros annuel.

Cependant, il était établi qu’à l’époque, seuls 20 % des franchisés atteignaient ces prévisionnels. Et puis les résultats de l’exploitation du franchisé ayant conclu le contrat sur la foi de ces prévisionnels s’étaient très rapidement révélés inférieurs aux dites prévisions. Il enregistrait environ 60 % de celles-ci. Par ailleurs, les charges prévisionnelles avaient été sous-évaluées. C’était plus qu’il n’en fallait pour considérer que l’information transmise par le franchiseur manquait de sérieux. Etant précisé que le franchiseur n’avait pas non plus renseigné son interlocuteur sur l’état réel de la concurrence. Annulation du contrat de franchise donc.

La position du tribunal de Meaux

Le jugement insiste au surplus, et la circonstance vaut d’être notée, sur l’expérience du franchiseur. Il n’était pas un profane ; sa notoriété était acquise. De telle sorte que le candidat à la franchise pouvait lui faire confiance. En réalité, n’est-ce pas toujours le cas ? Par définition, le franchiseur entend réitérer une réussite et un savoir-faire. Tel est l’objet du contrat. Que le franchisé lui fasse confiance, c’est également une donnée essentielle de ce partenariat.

Enfin, le tribunal, dans un jugement décidément fort bien motivé, rappelle l’essence même de la franchise : si le franchisé paie un droit d’entrée élevé, verse des redevances, et « s’enferme dans des contraintes juridiques », « c’est avant tout parce qu’il attend du franchiseur une rentabilité lui permettant de couvrir a minima ses charges d’exploitation et même supérieure à celle qu’il obtiendrait en exploitant son commerce seul, sans l’aide d’un franchiseur professionnel connu et reconnu en la matière ».

Quelle belle définition de la franchise ! Elle insiste moins sur le savoir-faire, dont on sait qu’il est aujourd’hui souvent incantatoire, que sur la rentabilité attendue d’un contrat de franchise. Et de fait, voilà l’économie du contrat de franchise. Le franchisé s’engage pour faire des affaires. Les juges ne doivent pas l’oublier. Et de ce point de vue, le jugement rendu par le tribunal de commerce de Meaux est une magnifique leçon de droit et d’économie.